M. Bergougnoux donne la parole au sénateur Marcel Deneux qui se félicite de l’arrivée d’un label environnemental pour fixer un plafond d’émissions de CO2 dans la construction.
Le Président de l’association équilibre des énergies, Jean Bergougnoux, recevait mercredi 30 avril deux sénateurs, membres de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques – chargé de comprendre les enjeux scientifiques pour les expliquer à tous les parlementaires, avant le vote d’une loi – lors du petit-déjeuner débat : “Faut-il anticiper les réglementations thermiques à venir, avec un label intégrant le CO2 ?”.
Marcel Deneux : “Je me réjouis de pouvoir participer à ce débat qui touche une question essentielle de la réglementation thermique des bâtiments, puisque l’intégration d’un critère de CO2 dans cette réglementation non seulement renoue avec l’objectif essentiel de la lutte contre le changement climatique, mais doit aussi contribuer à la neutralité technologique de cette réglementation, qui est essentielle pour l’incitation au développement industriel du secteur des produits pour le bâtiment.
Le principe de base d’une transition énergétique intelligente, qui minimise le coût de l’adaptation, c’est que chaque cas doit pouvoir trouver la meilleure solution technique ; il faut donc que la réglementation pousse dans le sens souhaité, mais ne crée pas de biais en faveur de telle ou telle solution, car c’est la meilleure qui doit prévaloir : le gaz dans certains cas, l’électricité dans d’autres.
L’étude que je conduis actuellement avec Jean-Yves Le Déaut sur « les freins réglementaires en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment » nous amène à rencontrer cette problématique à deux titres :
– d’abord, comme porteurs du flambeau qu’ont allumé en 2009 nos devanciers sur les questions du bâtiment que sont Claude Birraux et Christian Bataille. L’OPECST est « un et indivisible », comme dit la formule, et il est normal que nous assurions le suivi d’une recommandation qui n’a pas été suivie, ou très partiellement, lors de la sortie de leur rapport ;
– ensuite, parce qu’un biais technologique constitue une forme de frein, et qu’à ce titre une distorsion de traitement entre le gaz et l’électricité, notamment au niveau du moteur de calcul, génère un biais technologique.
Sur le fond, je peux apporter quelques éléments nouveaux liés aux contacts pris dans le cadre de notre étude. La question de l’intégration d’une norme de CO2 dans la réglementation a été particulièrement évoquée lorsque nous nous sommes rendus à Bruxelles, et notre rapport en rendra compte.
Nous avons demandé aux fonctionnaires de la commission européenne pourquoi la directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments, ainsi que la proposition de refonte que la Commission a porté en 2008, mentionnait un plafond de CO2, et pourquoi celui-ci a disparu de la version finale de la directive de 2010, qui met l’accent, à l’horizon 2020, sur une consommation « quasi-nulle » d’énergie primaire.
La réponse était unanime et convergente : l’absence de mention d’une norme complémentaire de CO2 dans la directive n’interdit nullement d’en introduire une au niveau des réglementations nationales.
Donc le refus de mettre en place en France une norme de CO2 n’a jamais résulté d’une contrainte européenne, comme l’administration en charge a osé le prétendre, pas plus tard que lors de notre audition publique du 13 février à l’Assemblée nationale.
On ne peut donc que se réjouir de la proposition de mettre en place un label intégrant une norme de CO2, car c’est une avancé dans le bon sens.
Ceci dit, je voudrais faire trois remarques :
– premièrement le projet de label va bien au-delà du CO2 ; il prend en compte aussi des aspects purement environnementaux, sur le modèle des labels anglo-saxons BREEAM et LEED (La certification BREEAM met l’accent sur la préservation de la biodiversité et de l’écomobilité ; le label LEED, lui, met en avant la qualité de l’air intérieur, l’utilisation de ressources recyclées ou de proximité). Il ne faudrait pas qu’avec le nouveau label, le CO2 devienne un paramètre noyé parmi d’autres, et affecté d’une faible pondération ; son rôle est d’équilibrer la norme d’énergie primaire ;
– deuxièmement, la prise en compte du CO2 laisse ouverte la question du comptage des émissions de CO2 pour l’électricité ; les théories des « émissions marginales » du CO2 pour l’électricité, dont certains protagonistes sont là aujourd’hui, visent à annihiler par des acrobaties intellectuelles, l’avantage évident que nous procure, en France, notre production à 85% d’électricité décarbonée. Si on arrive à faire croire que l’électricité émet autant de CO2 que le gaz, l’effet correcteur du plafond de CO2 est bien sûr annulée ; je reviendrais sur ce point un peu plus tard, si vous en êtes d’accord ;
– enfin, troisièmement, on peut se demander si introduire un plafond de CO2 n’était pas un objectif intermédiaire qu’il faudrait dépasser aujourd’hui. L’avenir nous semble être à la mesure de la performance globale, in situ, a posteriori. Or un label reste encore un instrument de mesure conventionnelle. On peut même se demander si une mesure de performance globale ne serait pas plus rééquilibrante qu’un label conventionnel, car ce serait par exemple une manière de mettre en valeur l’apport de la gestion active de l’énergie, qui fonctionne à l’électricité, et qui pilote même des systèmes à gaz. Je livre cette réflexion avec conviction, tout en ayant le sentiment qu’elle ne peut concerner que des horizons de moyen terme.
La théorie des émissions marginales de CO2 de l’électricité
J’ai déjà mentionné le rapport Birraux-Bataille de 2009 défendant l’idée d’un plafond de CO2 ; il me semble essentiel de croiser son approche avec celle d’un autre rapport, celui de 2010 réalisé sur la gestion de la pointe de demande d’électricité par le sénateur Bruno Sido, président actuel de l’OPECST, et le député Serge Poignant, qui a été membre de l’OPECST dans les années 90. Tous deux sont malheureusement absents, mais m’ont donné mandat pour valoriser leurs propositions.
Quelle est la question en jeu ? Ceux qui s’opposent à l’idée d’un plafond du CO2 disent que les émissions sont difficiles à calculer pour l’électricité, et parviennent ainsi à embrouiller les esprits jusqu’à convaincre les responsables politiques qu’il vaut mieux ne pas trancher sur cette question.
Je commencerai par observer que cette défense utilise une astuce rhétorique, en l’occurrence un retournement du point de vue : ce qui est en jeu, ce sont les émissions directes des combustibles fossiles, pas celles de l’électricité. Jusqu’à nouvel ordre, la France dispose d’une électricité très peu contributrice à l’effet de serre : en mettant bout à bout la production nucléaire, l’hydroélectricité et la montée en puissance des énergies renouvelables, on atteint facilement un taux de production neutre pour le climat de l’ordre de 90%.
C’est exact que le kWh primaire d’électricité oblige à prendre en compte le facteur multiplicatif du coefficient de conversion, mais trois fois presque rien cela continue à ne pas faire grand-chose, 84g ou 71 g de CO2 selon que l’on considère l’arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique, ou le dernier bilan de l’Agence international de l’énergie ; tandis que le kWh primaire de gaz pèse chimiquement ses 234 g, celui du fuel ses 300 g, et celui du charbon 384 g.
L’habileté rhétorique de nos amis gaziers parvient à créer le trouble dans les esprits jusqu’à proposer des chiffres de 700 g ; l’AFG, lors de notre dernière audition publique du 13 février 2014, a évoqué une évaluation située entre 400 et 700 g pour le kWh primaire d’électricité ; ils font leur métier, ils utilisent leurs talents pour savonner la planche de leurs concurrents : c’est de bonne guerre ! Mais les meilleurs tours de prestidigitation n’arrivent pas à faire croire qu’on peut défier les lois de la pesanteur ; une fois qu’on a applaudi l’artiste de music hall, on revient au bon sens, au monde réel où la lévitation ne peut pas se passer d’une grue.
Je partirai de l’observation que tout le raisonnement compliqué du calcul des émissions « marginales » de CO2 de l’électricité s’appuie sur les émissions au moment particulier de la pointe de la demande de consommation de l’hiver.
Une remarque à ce propos : l’hiver de 2014 s’est terminé depuis plus d’un mois. Qui a eu le sentiment d’un moment extrême de froid entraînant une pointe de consommation d’électricité ?
On va nous dire que l’absence de pointe de froid cet hiver est purement accidentelle, que cette douceur inhabituelle relève des fluctuations habituelles du climat. D’accord, mais n’est-elle pas aussi une préfiguration du changement climatique ? Est-ce que l’avenir sous nos contrées n’est pas justement, selon nos climatologues, à la multiplication des hivers doux ? En ce cas, que valent tous les raisonnements basés sur la pointe de demande d’hiver ?
C’est à ce stade de mon analyse que je reviens vers le rapport Poignant-Sido, qui a rappelé principalement deux choses concernant notre problème :
– premièrement la gestion de la pointe de demande d’électricité constitue un problème en soi, appelant une politique spécifique, la maîtrise de la consommation dans le bâtiment n’en est qu’un aspect parmi d’autres,
– deuxièmement que la prise en compte des bâtiments dans cette politique devait se faire au niveau de l’ensemble du parc, et pas seulement au niveau de la construction.
Dès lors, on ne comprend pas pourquoi il faudrait distordre la réglementation thermique comme s’il s’agissait du seul instrument pour gérer la pointe de demande d’électricité. Distordre, c’est à dire pénaliser non seulement l’effet Joule, mais aussi les pompes à chaleur et les autres systèmes de chauffage thermodynamique, par le biais du refus de tout plafond d’émission de CO2.
On me dira : il ne s’agit pas de refuser la fixation d’un plafond d’émission de CO2, mais d’ajuster le calcul des émissions de CO2 de l’électricité. Certes, mais si l’on arrive à faire croire que l’électricité émet autant ou plus de CO2 que le gaz, l’objectif de rééquilibrage recherché à travers la mise en place de ce plafond est désactivé. Cela revient donc au même.
Si l’on en revient aux choses de bon sens, on voit que les deux problèmes différents de la pointe de demande et de la neutralité de la réglementation thermique doivent être traités avec des instruments différents, adaptés à chacun d’eux. Pour deux objectifs, il faut deux instruments.
S’agissant de la gestion de la pointe de demande
Le rapport Poignant-Sido, puis la loi NOME ont réactivé à juste titre l’idée ancienne de l’effacement, en créant une base juridique plus large à cette technique jusque-là contractuelle.
L’effacement n’est pas qu’affaire de gros consommateur. Je rappelle pour mémoire l’excellent dispositif EJP qu’EDF a créé en 1982 à destination des particuliers, et dont on peut se demander pourquoi il ne s’est pas répandu. Peut-être que le problème de la pointe n’aurait pas cette ampleur aujourd’hui si l’on avait encouragé de dispositif depuis 32 ans !
J’ajoute que la question majeure des « grilles pain » dans les bâtiments anciens n’a rien à voir avec les règles de la construction, et appelle des mesures tout à fait spécifiques. M. Bergougnoux a largement développé ce point lorsqu’il est venu s’exprimer devant l’Office en novembre dernier.
S’agissant de l’adaptation de la réglementation thermique, je pense qu’il vaudrait mieux introduire le plafond de CO2, avec un avantage cohérent pour l’électricité, et ajouter des dispositions favorisant le basculement pour quelques heures, soit sur des méthodes alternatives de chauffage comme l’y incite le tarif EJP (avec une bonne cheminée par exemple), soit sur le recours à un stockage local d’énergie, par des batteries ou des moyens innovants (nous nous rendons bientôt en Allemagne, et nous allons nous renseigner sur une sorte de gros ballon d’eau chaude de quartier mis en œuvre à Munich).”