Afin de développer le potentiel des technologies de captage et de stockage du CO2 (CCS), la Commission a accompagné son objectif de – 90 % d’émissions d’ici 2040, comparé aux niveaux de 1990, d’une stratégie pour la gestion industrielle du carbone dans l’UE. Elle y indique qu’il sera nécessaire de capter environ 280 millions de tonnes de CO2 d’ici à 2040 et 450 millions de tonnes d’ici à 2050 pour atteindre la neutralité carbone. Des objectifs ambitieux, qui visent à faire de la gestion du carbone un réel levier de la transition énergétique et marquent la fin de 15 ans d’hésitation politique autour de la question du CCS.
Le cadre d’action proposé par la Commission européenne pour le déploiement du CCS
Dans sa communication « Vers une gestion industrielle du carbone ambitieuse pour l’UE » (février 2024), la Commission européenne présente des pistes d’actions pour le développement des différents segments de la chaîne de valeur du carbone afin de compléter la cadre actuel lors de la prochaine mandature.
Infrastructures de transport du CO2: Estimant un besoin de 7 300 km de réseau d’ici 2030 pour le transport du CO2, la Commission envisage de proposer un paquet de mesures réglementaires qui viserait à diminuer les coûts d’investissement liés au retrofit ou à la construction de nouvelles infrastructures de transport. Ce nouveau cadre permettrait également de favoriser l’harmonisation technique à l’échelle européenne, avec notamment la mise en place de coordinateurs européens, chargés de soutenir le déploiement des premiers projets d’infrastructures transfrontières de CO2. La Commission souhaite aussi établir un code de réseau définissant des normes de qualité minimales pour les flux de CO2, portant sur des aspects tels que la composition, la pureté, la pression et la température du CO2.
Transparence des informations liées aux projets de CO2: Afin de faciliter la mise en relation entre fournisseurs de CO2 et fournisseurs de service de stockage, la Commission envisage de développer d’ici 2026 une plateforme d’évaluation et d’agrégation de la demande de services de transport ou de stockage du CO2. La Commission souhaite également faciliter l’accès aux informations relatives au développement de la filière carbone par le mise en place de dispositifs dédiés :
- Une plateforme de partage des connaissance pour partager les apprentissages des projets industriels de CCUS ;
- Un atlas d’investissement des sites potentiels de stockage de CO2 en Europe ;
- Un guide étape par étape pour les procédures d’autorisation des projets stratégiques de stockage de CO2 « zéro net ».
Absorption du CO2 atmosphérique: Les émissions négatives, résultant de l’absorption du CO2 dans l’atmosphère, n’étant pas couvertes par le cadre législatif actuel, la Commission souhaite faire évoluer le système communautaire d’échange des quotas d’émission afin que le CO2 absorbé y soit intégré. Elle souhaite également promouvoir la recherche et l’innovation dans de nouvelles technologies industrielles d’élimination du CO2 biogénique et atmosphérique dans le cadre des financements du programme Horizon Europe et du Fonds pour l’Innovation.
Valorisation du CO2 capté: La Commission propose d’élaborer, conjointement avec les industries, des feuilles de routes sectorielles sur les activités de CCU ainsi qu’un cadre européen pour faciliter le déploiement d’activités industrielles en matière de CCU et poursuivre le travail réglementaire initié dans le cadre du règlement délégué du 4 octobre 2024 sur le carbone lié chimiquement aux produits. A ce stade, elle ne précise toutefois ni le contenu de ces feuilles de route ni les modalités de leur élaboration.
Soutenir les investissements: Afin de mobiliser le financement public, la Commission prévoit notamment de développer avec la Banque européenne d’investissement des opportunités de financement dédiées aux projets de CCS et de CCU en Europe. La Commission envisage également de mettre en place un projet d’intérêt européen commun (PIIEC) pour les infrastructures de transport et de stockage du CO2 dans le cadre du Forum européen pour les PIIEC.
Les défis économiques et politiques auxquels la filière CCUS est confrontée
Le déploiement de la gestion du carbone est avant tout confronté à un défi d’ordre économique: la mise en place de la chaîne de valeur CCUS et l’acquisition par les industries à forte intensité énergétique représentent des investissements significatifs qui devront être soutenus au niveau européen pour être concrétisés. L’inclusion dans le système d’échange de quotas carbone européen (EU-ETS) des secteurs à forte intensité énergétique, de l’aviation et du transport maritime, prévue par la réforme du marché du carbone de 2023 – et donc l’élimination des allocations de quotas gratuits à ces secteurs – est supposée accroître progressivement le prix des quotas carbone et par là inciter les secteurs à forte intensité carbone à investir dans des solutions de décarbonation, comme le CCUS.
Aujourd’hui pourtant, le prix du quota carbone sur le marché EU-ETS n’est que d’environ 63€ – un prix trop bas pour qu’il soit plus avantageux pour les industries d’investir dans des solutions de décarbonation, comme les technologies CCUS, que d’acheter des quotas carbone pour couvrir leurs émissions. L’accroissement du prix du carbone, soit de manière mécanique par la réduction du nombre de quotas mis aux enchères prévu par le cadre européen, soit par la mise en place de mesures additionnelles pour stabiliser les prix à un niveau élevé, est un défi clé de la prochaine mandature.
Un deuxième obstacle, d’ordre politique cette fois, devra également être levé pour permettre le déploiement des technologies CCUS. En effet, si la Commission européenne et la plupart des Etats membres ont récemment adopté une approche plus volontariste sur le développement de la filière de gestion du carbone, la perception des parties prenantes, et notamment des organisations environnementales reste plus réservée, voire hostile. En octobre 2024, dans le contexte de l’ouverture de l’Industrial Carbon Management Forum à Pau 43 organisations ont ainsi publié une lettre ouverte demandant l’arrêt du soutien européen accordé aux projets de CCS jugés trop chers et trop risqués. Une perception également partagée par des ONG de premier plan comme Greenpeace, dont une étude publiée en septembre 2024 met en doute la contribution possible du CCS pour l’atteinte de la neutralité carbone.
Face à ces défis, l’Union européenne devra parvenir à faire accepter la gestion du carbone comme un levier à part entière de l’effort climatique et dans le même temps réussir, comme préconisé par le rapport Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE, à transformer son avantage technologique en matière d’innovation dans les technologies CCUS en succès commercial.