Depuis plusieurs années, le débat s’est engagé, à Paris comme à Bruxelles, sur la bonne stratégie à suivre en matière de rénovation énergétique des logements. On a vu apparaître, dans les textes législatifs et réglementaires, les concepts de rénovation performante, globale, complète, profonde et, plus récemment, d’ampleur. Toutes ces notions partent d’un bon sentiment : il faut rénover en profondeur le patrimoine immobilier des Français. Mais les bonnes intentions se heurtent à la dure réalité du financement, il faut donc faire des choix.
Rappel du contexte
Le patrimoine immobilier des logements français n’est pas en bon état mais la loi est ambitieuse. Selon le code de l’énergie, les étiquettes du diagnostic de performance énergétique (DPE) de tous les logements devraient être ramenés en moyenne, en 2050, au niveau BBC, c’est-à-dire aux niveaux A ou B. Cependant, tous les logements ne pourront pas être amenés à ce niveau, notamment pour des contraintes architecturales. Il existe donc une tolérance à C, notamment pour les 4,8 millions de passoires thermiques qui sont aujourd’hui classées F ou G.
Il s’agit d’un chantier considérable dont le coût total est, au bas mot, de 800 milliards d’euros en 25 ans. Dans leur rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont évalué à 21 milliards d’euros l’investissement annuel supplémentaire de réduction des émissions à consacrer au secteur résidentiel à horizon 2030, sans prendre en compte toutes les catégories de logements qui devront être rénovés.
Face à ce défi, un courant de pensée s’est développé selon lequel, dans un souci d’efficacité et pour éviter d’avoir à procéder à des reprises coûteuses, il fallait encourager les rénovations performantes, consistant à traiter les six postes clés de rénovation1, si possible en une seule fois. Dans son avis d’expert sur la rénovation performante des logements de mai 2024, l’ADEME pose le principe, mais sans réellement le justifier, que le traitement de l’enveloppe doit intervenir en priorité. Cette approche a fortement inspiré les modifications intervenues en fin d’année 2023 au mécanisme de MaPrimeRénov’ (MPR) visant à imposer un minimum de deux gestes d’isolation dans les parcours de rénovation dits « accompagnés » des rénovations d’ampleur qui permettent de gagner au moins deux classes dans le DPE. Il était escompté que ces dispositions permettraient de réaliser 200 000 rénovations d’ampleur dès 2024.
Malheureusement, seules 5 584 rénovations d’ampleur ont été engagées au 1er trimestre 2024 et le Gouvernement a été amené à revoir à la hâte le dispositif MPR dès le 15 mai. Un tel écart entre prévisions et réalisations est inhabituel et appelle une réflexion de fond.2
Raisonner en oubliant la contrainte de financement n’a pas beaucoup de sens
L’échec de la rénovation d’ampleur résulte d’une erreur de raisonnement. Le coût moyen des 5 584 rénovations enregistrées au 1er trimestre 2024 s’est élevé en moyenne, selon l’Anah, aux environs de 60 000 € par logement. L’objectif de 200 000 rénovations d’ampleur en 2024, aujourd’hui considéré comme hors de portée, aurait correspondu à un investissement de l’ordre de 12 milliards d’euros et à une aide de l’État de 3,5 à 4 milliards d’euros, au minimum.
La majorité des Français n’a pas aujourd’hui la possibilité d’engager un tel effort et les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de l’accompagner. Et ceci est encore plus évident si l’on considère les objectifs esquissés pour l’horizon 2030, pour lequel, en 20233, on envisageait un rythme de rénovation de 900 000 logements/ an en 2030 avec un soutien de l’État de 14 milliards d’euros.
Raisonner sans prendre en compte la contrainte de financement conduit à s’imaginer que tout est possible. Discuter de l’ordre dans lequel il est souhaitable d’engager les six gestes classiques de rénovation est alors facile puisque l’on admet que les gestes s’enchaîneront sans problème. Et ceci conduit à poser des postulats comme la primauté des travaux d’isolation sur le bâti.
La réalité est différente. Un certain nombre de Français sont prêts à dépenser 60 000 € pour la rénovation énergétique de leur logement et c’est très bien. Ils doivent y être encouragés. Mais ils resteront une minorité et le vrai problème est celui d’une optimisation sous contrainte : quels sont les gestes que les politiques publiques doivent encourager lorsqu’on sait que les ressources des Français et le budget de l’État ne permettent pas de dépenser plus d’une certaine somme par foyer ?
15 000 euros : un objectif réaliste
Au vu des chiffres relevés au cours des dernières années, il parait réaliste de considérer que la majorité des ménages auront les moyens de consacrer, avec une périodicité de l’ordre de 10 à 15 ans, un budget d’environ 15 000 € (TTC) à la rénovation thermique de leur logement. Pourquoi 15 000 € ? Dans le rapport de l’Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) d’octobre 20234, on y relève que le coût moyen des travaux aidés par MPR classique, pour les propriétaires occupants, s’est élevé en 2022 à 10 775 €, en allant jusqu’à 15 000 € pour les ménages les plus aisés.
Cette « force de frappe » de 15 000 € peut résulter de la mobilisation de l’épargne des ménages mais plus généralement d’un cocktail de ressources intégrant les aides de l’État (MPR, les certificats d’économie d’énergie ou CEE, les prêts bonifiés et les aides spécifiques), dont les montants peuvent être majorés au profit des ménages les plus modestes.
Que faire avec 15 000 € ?
Le coût des travaux est très variable selon les situations rencontrées. Les annonces des acteurs de la rénovation sont souvent alléchantes mais parfois trompeuses. Nous nous référons dans la suite de cet article aux éléments publiés par l’ONRE dans le rapport précité. On y trouve en effet la liste des gestes de rénovation énergétique qui étaient soutenus en 2022 par MPR avec leur coût, les économies conventionnelles et la réduction des émissions de CO2 qu’ils permettent. Ces chiffres sont approximatifs et, en particulier, les économies réelles sont souvent différentes des économies conventionnelles, compte tenu de l’effet rebond. Cependant, venant de l’ONRE, on ne peut pas les suspecter d’être biaisées sur le plan commercial.
À partir des éléments d’information disponibles dans le rapport ONRE, nous avons considéré sept scénarios, à peu de choses près compatibles avec le potentiel de 15 000 €. Pour définir ces scénarios nous n’avons pas retenu les combinaisons avec l’eau chaude afin de ne pas modifier le cadre de référence : celui d’un gain sur les consommations de chauffage avec comme solution initiale un chauffage gaz classique. Nous avons retenu la solution gaz THPE tout en sachant que son installation n’est plus éligible à MPR, en partant du principe que le consommateur est libre de s’appuyer sur MPR ou pas (les ménages de catégories supérieures n’y ayant d’ailleurs pas droit pour le mono-geste).
Cette liste n’a pas l’ambition d’être exhaustive mais elle correspond à des cas considérés comme vraisemblables. On remarquera qu’ils concernent essentiellement les maisons individuelles. Le logement collectif répond à une autre logique, les contraintes techniques y sont fortes et l’isolation par l’extérieur reste souvent la seule solution opérationnelle au niveau d’une collectivité.
Nous allons à présent analyser les avantages apportés par chacune des solutions du point de vue du consommateur et du point de vue de la collectivité.
Le point de vue du consommateur
Le consommateur prend sa décision d’investir en fonction de critères qui lui sont propres. En l’absence d’incitation fiscale ou réglementaire, sa décision sera, pour l’essentiel, guidée par les économies qu’il pense pouvoir réaliser, même si les préoccupations d’intérêt général telles que l’impact climatique des solutions, le laissent de moins en moins indifférent. Le tableau 1 fait apparaître deux critères de décision auquel il sera sensible :
- l’économie d’énergie finale, évaluée selon les gains moyens du rapport de l’ONRE ;
- l’économie annuelle en euros, calculée en prenant les prix de l’énergie retenus pour les évaluations du DPE en avril 2024.
Bien que les montants des investissements exigés par les différents scénarios soient voisins, ils diffèrent dans des proportions qui ne sont pas négligeables. Pour apprécier leur efficacité, nous avons renormer les performances du tableau 1 sur la base d’un investissement de 15 000 €. Les pourcentages d’économie peuvent alors être pris comme indices des économies moyennes qu’il est possible de réaliser en investissant 15 000 € dans chacune des solutions testées rapportées aux consommations et aux dépenses afférentes à une maison moyenne (tableau 2).
Le tableau 2 fait également apparaître un indice composite, que nous appelons « indice d’intérêt », qui est la moyenne des scores réalisés en économies d’énergie et en euros et qu’on suppose représentatif du niveau d’intérêt que le consommateur portera, ex post, sur l’investissement réalisé.
Les économies réalisées, aussi bien en MWh qu’en euros, sont très variables. La pompe à chaleur air/eau est de très loin le geste qui, pour un même investissement, permet les économies d’énergie les plus importantes. Selon le critère « euros », elle n’arrive pas en tête mais elle n’est devancée que de peu par la solution « poêle à bois, associé à la reprise de la ventilation et à l’isolation des murs par l’intérieur ». Finalement, dans l’indice d’intérêt, la pompe à chaleur l’emporte sur toutes les autres solutions.
Du point de vue de la collectivité
Du point de vue de la collectivité, et notamment de la politique énergie-climat, les critères ne s’identifient pas à ceux retenus au niveau individuel. Les économies d’énergie finale conservent leur valeur car elles concourent à la réalisation des objectifs nationaux. Mais s’ajoute à elles, l’impact sur :
- les consommations d’énergie primaire. Le bien-fondé de ce critère est de plus en plus contesté. Nous le prenons cependant en compte car il continue à apparaître dans la réglementation ;
- les émissions de gaz à effet de serre, calculées en tenant compte des gains moyens sur les consommations d’énergie et du contenu en CO2 des différents vecteurs énergétiques.
D’autres critères seraient à prendre en compte, notamment l’impact sur la dépendance énergétique et sur le développement de l’industrie nationale. Cependant, pour se focaliser sur l’essentiel, nous nous limiterons aux critères susvisés dont les valeurs apparaissent dans le tableau 3. Comme précédemment, nous en déduisons des indices renormés sur la base d’un investissement de 15 000 € et calculons un indice composite, que nous appelons « indice d’utilité collective » qui est la moyenne des trois autres critères (tableau 4).
On voit que, malgré le handicap créé par la pondération des consommations d’énergie par le coefficient 2,3 de conversion de l’électricité en énergie primaire, l’installation de pompes à chaleur ressort de façon très positive par rapport à toutes les autres solutions, en particulier pour la réduction des émissions de CO2. C’est donc elle que les politiques publiques devraient encourager en priorité afin de permettre à chaque ménage, dès lors que la solution est techniquement possible, de réunir la capacité d’investissement nécessaire.
Les aides publiques
Les aides publiques influent fortement sur les décisions des consommateurs. Il est donc nécessaire d’examiner comment elles se situent par rapport aux indices précédemment calculés. On ne retiendra que les aides nationales : MPR et CEE. Le tableau 5 précise le montant cumulé de ces aides, pour chacun des scénarios testés et selon les revenus du ménage5,6,7.
Ces aides sont très fortement modulées selon les revenus des ménages et occasionnent un reste à charge qui est probablement trop dissuasif à partir de la classe des revenus intermédiaires. C’est un point auquel il conviendrait de porter attention.
Il est intéressant par ailleurs de comparer le taux de subvention qui en résulte avec les indices précédemment définis aux tableaux 3 et 5. C’est l’objet du tableau 6 où sont rappelés l’indice d’intérêt pour le consommateur et l’indice d’utilité collective pour chacune des solutions. Il y apparait également le taux de subvention, en pourcentage de l’investissement initial, dans le cas des ménages modestes.
Il ressort de ce tableau que le montant des aides est assez bien modulé en fonction de la nature des actions. Une exception cependant : le montant des aides accordées au profit des chaudières à granulés semble très élevé au regard des bénéfices qu’elles procurent.
Par ailleurs, il faudrait étendre l’analyse à l’ensemble des gestes envisageables. On y verrait notamment que les pompes à chaleur air/air sont très insuffisamment soutenues au regard des économies qu’elles permettent.
Conclusions
Pour des raisons de contraintes financières évidentes que sont venus souligner les résultats de MPR en début d’année 2024, la massification de la rénovation énergétique des bâtiments impose une révision de la stratégie suivie. À capacité d’investissement donnée, une politique de rénovation axée sur les gestes essentiels permet de traiter, dans le même temps, trois ou quatre fois plus de logements qu’une politique de rénovation globale, avec des résultats deux à trois fois supérieurs, en économies d’énergie finale comme en CO2. La massification des actions, assortie d’une recherche d’efficacité maximale, est le seul moyen d’obtenir rapidement des réductions tangibles en matière de consommations d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre et de redonner rapidement du pouvoir d’achat aux Français. Les politiques publiques devraient permettre à chaque ménage d’engager dès que possible un montant d’investissement de l’ordre de 15 000 €.
Parmi les options ouvertes dans le cadre d’un budget de 15 000 €, l’installation de pompes à chaleur dans les logements individuels est, tant du point de vue du consommateur que de celui de la politique énergie-climat, la solution à privilégier.
Dans les maisons individuelles, les restrictions techniques à l’installation des pompes à chaleur sont minimes. Il s’agit avant tout d’une question de bilan économique pour les usagers et l’aide publique joue donc un rôle déterminant. Dans le cas de logements fortement déperditifs, l’amélioration simultanée de l’isolation du logement peut s’avérer nécessaire mais les conditions de fonctionnement des pompes à chaleur sont suffisamment flexibles pour s’accommoder de la plupart des situations rencontrées. Les émissions de CO2 s’en trouvent immédiatement très fortement réduites. Rappelons sur ce point que le réchauffement climatique est fonction des émissions cumulées : une politique perfectionniste de rénovation des logements est très onéreuse et ne peut concerner qu’un nombre limité de logements. À budget donné, elle retarde d’autant le traitement de masse qui s’impose. Les économies dégagées grâce à la pompe à chaleur permettent en outre de constituer une épargne qui permettra d’envisager, le moment venu, une seconde étape d’amélioration des logements, avec des conditions de fonctionnement de la PAC qui seront encore plus performantes.
Il est donc essentiel que les dispositions qui seront prises au 1er janvier 2025 ne viennent pas à nouveau compromettre le développement de la pompe à chaleur. Le parcours accompagné ne doit pas en retarder l’adoption, au profit d’autres gestes moins efficaces. Dans le parcours accompagné, ce doit être à l’accompagnateur de déterminer les gestes qui sont nécessaires pour atteindre l’objectif minimal de gain exigé.
1. Isolation des murs, isolation des planchers bas, isolation de la toiture, menuiseries extérieures, ventilation, la production de chauffage et d’eau chaude sanitaire.
2. Voir le Point de vue sur MPR dans ce numéro.
3. Voir par exemple, le dossier de presse du 4 octobre 2023 sur la rénovation énergétique des bâtiments publiés par l’Assemblée nationale.
4. Les rénovations énergétiques dans MPR entre 2020 et 2022. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (Octobre 2023).
5. La différenciation selon les revenus des ménages ne porte que sur MPR.
6. Calculs effectués sur une maison individuelle en RDC de 100 m2, chauffée au gaz, classée en E ; longueur : 12,5 m ; largeur : 8 m ; hauteur sous plafond : 2,5 m ; hauteur sous toiture : 1,8 m.
7. Le cumul des CEE et de MPR ne peut pas dépasser un % du coût total des travaux (TTC), variable selon le revenu des ménages.