Bien que déjà déployées sur plusieurs sites en Europe, les filières de captage, utilisation et stockage du carbone (CCU et CCS) ont longtemps été perçues comme des techniques de dernier recours ne revêtant pas la même priorité que l’efficacité énergétique ou la migration vers les énergies décarbonées. Mais la vision sur le CCS et le CCU évolue et la Commission européenne réfléchit à présent au cadre à donner à leur déploiement…
Le CCS : une solution pour éliminer les émissions résiduelles
Afin de progresser vers la neutralité climatique, les politiques développées ces dernières années ont donné la priorité à deux leviers : l’amélioration de l’efficacité énergétique et la transition vers des énergies décarbonées. Les techniques de captage et de stockage du carbone (CCS) ne pouvaient pas être mises sur un pied d’égalité avec les réductions d’émissions.
Cette perception évolue avec la prise de conscience qu’un certain volume d’émissions résiduelles de CO2 restera incompressible du fait de la nature même de l’activité de secteurs comme la cimenterie, l’industrie chimique ou la sidérurgie.
Ces secteurs peuvent améliorer leur bilan carbone par divers moyens mais le solde des émissions ne pourra être effacé que par le captage du CO2 à la sortie des installations industrielles, suivi de son transport et de son stockage définitif en couche géologique profonde.
L’Europe a d’ores et déjà adopté diverses dispositions pour soutenir, tout en l’encadrant, le développement du CCS. L’Innovation Fund et la Connecting Europe Facility permettent de subventionner à grande échelle des projets industriels, cependant que le programme Horizon Europe vient soutenir les actions de recherche-développement.
Aujourd’hui, 76 projets de CCS sont en cours en Europe répartis entre 16 pays. Une stratégie de gestion du carbone en préparation doit permettre d’amplifier ce développement afin que puisse être atteint, à horizon 2050, un objectif de 330 à 550 Mt de CO2 captées chaque année.
En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) approuvée en avril 2020 n’envisageait que 5 MtCO2/an comme susceptibles d’être évitées dans l’industrie en 2050 grâce au CCS. Cette vision sera vraisemblablement reconsidérée lors de l’élaboration de la nouvelle stratégie énergie-climat. Plusieurs projets ont d’ores et déjà été lancés sur le territoire national, notamment le projet D’Artagnan intéressant les ports de Dunkerque et Rotterdam et visant à la mise en place d’infrastructures de transfert et de conditionnement pour l’export du CO2.
Le développement du CCU : de déchet, le carbone devient ressource
Si le CO 2 est aujourd’hui une substance dont on cherche à se débarrasser, il existe une autre facette de la molécule qui ne doit pas être ignorée : son utilité pour la production de bases chimiques et de carburants de synthèse, nécessaires notamment à la décarbonation des secteurs aérien et maritime.
Le recyclage du CO2 demeure aujourd’hui marginal. La Commission entend à présent le faciliter mais dans les meilleures conditions de durabilité car le CCU ne conduit, en lui-même, qu’à un recyclage du carbone et non à un effacement des émissions, comme le permet le CCS. Pour atteindre la neutralité carbone il faut que le CO2 soit d’origine biogénique et récupéré par exemple en aval de la combustion de la biomasse (c’est la filière du BECCS) ou qu’il soit directement récupéré dans l’air environnant (c’est le direct air capture, DAC). La technique du DAC permet d’obtenir du carbone climatiquement neutre mais elle est encore à peine émergente et pose de gros problèmes d’extrapolation à grande échelle.
Compte-tenu de l’accroissement prévu des besoins en carbone pour la production des carburants de synthèse sous l’effet des obligations issues des règlements ReFuelEU Aviation et FuelEU Maritime, la récupération et la réutilisation du CO 2 émis sur des sites industriels constitue une solution de transition pour s’approvisionner en CO 2 et mettre au point les techniques de fabrication des carburants. Mais la limite fixée par la Commission à 2040 pour la reconnaissance de cette filière risque de constituer un frein aux investissements.
En France, le projet Take Kair mené par EDF en Pays de la Loire vise à produire d’ici 2028, à partir du CO2 biogé- nique récupéré sur cimenterie, du carburant de synthèse à destination des avions d’Air France-KLM et atteindre une capacité de production de 50 000 tonnes d’e-carburant par an.
Le tronc commun à ne pas oublier : captage et transport du CO2
Le stockage et l’utilisation du carbone constituent les maillons avals de la chaîne de valeur du carbone. Les maillons amont – c’est-à-dire le captage et le transport du CO 2 – communs aux filières CCS et CCU, restent cependant des éléments clés.
Dans la répartition des investissements sur l’ensemble de la chaîne CCS, le captage représente en effet plus de 50 % alors que le stockage n’en représente qu’environ 30 %. Il est donc essentiel de soutenir autant les activités de captage du carbone que son stockage.
Le prix du carbone sur le marché européen (aujourd’hui aux environs de 85 €/t de CO2) est insuffisant pour assurer l’équilibre économique de l’ensemble de la filière. Il faut donc qu’un soutien additionnel soit apporté et veiller à ce que la compensation apportée par la valeur carbone soit répartie de façon équitable pour permettre le développement de tous les maillons de la chaîne.
Équilibre des Énergies recommande qu’en parallèle du soutien aux capacités de stockage, un cadre de surveillance soit adopté afin de suivre la progression des quantités de carbone captées et de s’assurer qu’elles évoluent de manière proportionnelle aux capacités de stockage et aux besoins industriels en ressource carbone.
Le transport du carbone, depuis le lieu où il est capté jusqu’à son lieu de stockage ou de transformation, constitue également une étape clé. Or, le transport transfrontalier du CO 2 à travers l’Europe se heurte encore à des obstacles réglementaires et économiques.
Le transport transfrontalier de CO2 destiné au stockage sous-marin est réglementé par le Protocole de Londres (LP) qui interdit l’exportation de déchets. Depuis 2019, la signature entre deux ou plusieurs États d’un accord permet cependant l’exportation de CO2 à des fins de stockage géologique mais la signature d’accords au cas par cas reste nécessaire et peut ralentir le montage des projets.