Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) se met en ordre de marche pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Comment la profession s’engage t- elle et avec quels moyens ? EdEnmag a rencontré, chez Eiffage Construction, Vianney Fullhardt et Jacques Bouillot, tous deux pleinement investis sur le sujet.
Pourquoi Eiffage Construction et plus largement le groupe Eiffage s’engagent-ils dans la réduction des gaz à effet de serre et en particulier dans la construction bas carbone ?
Vianney Fullhardt : L’urgence de la lutte contre le changement climatique induit une réflexion sur la construction bas carbone. Le groupe Eiffage a décidé de s’engager dans cette voie de manière volontariste afin d’en être l’un des précurseurs. Cela nous donne une longueur d’avance pour être prêt lorsque la construction bas carbone deviendra la norme, ce qui arrivera très rapidement au regard de l’explosion de la demande. De nombreux clients publics et privés sollicitent déjà Eiffage Construction pour connaître les solutions bas carbone disponibles. Le fait d’intégrer ce type de construction dans nos propres projets depuis un certain nombre d’années nous a permis de procéder à des retours d’expériences précieux.
Les projets en structure bois réalisés ces dernières années par Eiffage Construction sont-ils la voie à privilégier ?
Jacques Bouillot : Attention à ne pas faire de raccourcis trop hâtifs entre le bois et la construction bas carbone. Je confirme bien que le bois est un matériau de structure bas carbone mais il n’est pas le seul. Les bétons et aciers de nouvelle génération font leur apparition. Chacun apportera sa contribution à la décarbonation du monde du bâtiment qui utilise des matériaux à très grande échelle. Un ordre de grandeur pour s’en convaincre : la production de béton prêt à l’emploi en France avoisine les 110 000 m3 par jour. Tous les matériaux ont donc un rôle à jouer.
Mais alors, qu’est-ce que la décarbonation du bâtiment ?
J. B. : C’est en quelque sorte un raisonnement en étages qu’il convient d’avoir et que nous partageons avec Vianney au quotidien.
Étage 1 : la frugalité. Il faut réinterroger tous nos usages, nos habitudes pour savoir si le matériau ou l’équipement que l’on va mettre en oeuvre est utile, s’il peut être remplacé par un autre moins carboné, si la compacité des bâtiments est optimale car elle aura mécaniquement moins de besoins en matériaux… Cet exercice a toujours été réalisé mais sous la contrainte du prix. Demain, il sera dual avec une prise en compte du prix et du carbone. Ce n’est pas un changement de paradigme mais c’est une vraie conduite du changement qu’il faut mener.
V. F. : Le deuxième étage concerne la réduction de l’empreinte carbone des consommations d’énergie. Cette réduction passe par l’amélioration de la performance énergétique et le recours aux énergies renouvelables (EnR). Dans ce domaine, de nombreuses solutions existent d’ores et déjà. Nous observons actuellement une migration massive vers les EnR et les énergies décarbonées. Le groupe Eiffage, via Eiffage Énergie Systèmes, a participé au déploiement de réseaux de chaleur et de froid urbains à base d’EnR sur plusieurs quartiers en construction, dont les plus connus sont Smartseille à Marseille et LaVallée à Châtenay-Malabry. Les solutions de récupération de chaleur fatale sont de plus en plus fréquentes sur les projets de bâtiments.
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Où sont les matériaux ?
J. B. : Ils viennent avec le troisième étage. On peut les regrouper sous la rubrique infrastructure/superstructure et matériaux du second oeuvre. C’est probablement là qu’il y aura les plus grandes innovations dans la prochaine décennie avec des investissements conséquents. Tout d’abord, les fabricants travailleront leurs scopes 1 et 2 en décarbonant l’énergie dans le process qu’ils utilisent pour fabriquer leur produit. La séquestration sera une possibilité s’ils ne veulent/ peuvent pas changer d’énergie mais la compensation risque de trouver rapidement ses limites par défaut de contrepartie. Les groupes métallurgistes, par exemple, produiront de l’acier par réduction à base d’hydrogène. L’acier sera alors décarboné sous réserve que l’hydrogène soit produit avec une énergie elle-même décarbonée. Pour d’autres, il faudra envisager de réinventer les matériaux en favorisant le recours au recyclage direct par exemple. La filière de l’aluminium entre déjà dans cette logique et va accélérer son mouvement.
On peut par ailleurs imaginer l’augmentation de centres de tri du bâtiment pour alimenter le cercle vertueux. Eiffage Construction expérimente d’ailleurs cela à Bordeaux avec la plateforme NOE.
Enfin, le recours aux matériaux biosourcés, renouvelables et biodégradables va s’accroître. Ces trois étages participeront à la décarbonation du bâtiment. La réduction par quatre des gaz à effet de serre nécessite de travailler sur tous les leviers.
Ce que vous évoquez vaut pour la rénovation ?
V. F. : La rénovation représente un enjeu majeur pour la réduction de l’empreinte carbone du bâtiment. Les pratiques concernant la rénovation des bâtiments sont cependant en retard par rapport à celles des bâtiments neufs. Néanmoins, la situation évolue rapidement, notamment en raison du fait que l’économie circulaire, qui représente un potentiel important de réduction des émissions de CO2, met en relation les bâtiments rénovés et les bâtiments neufs. En effet, le potentiel de matériaux à réemployer dans le bâtiment provient principalement des bâtiments existants qui deviennent une « banque » de matériaux au moment de leur rénovation ou de leur déconstruction.
Comment l’État accompagne-t-il ce mouvement ?
V. F. : Pour permettre à la France de respecter ses engagements internationaux dans la lutte contre le changement climatique, l’État a pris conscience que la réglementation thermique basée sur le kWh devait se transformer en réglementation environnementale intégrant le CO2. L’État ne fait pas qu’accompagner, il bouscule les habitudes car le passage à la RE2020 impose au monde de la construction d’évoluer en intégrant l’arbitrage carbone dans les choix opérés.
Optimistes ou pessimistes ?
J. B. : Le carbone est invisible et travailler sur sa réduction est difficilement communicable. L’enjeu est collectif et l’engagement des édiles et aménageurs est essentiel puisqu’ils sont à l’origine de la ville de demain. Ceux-ci doivent donc s’inscrire dans une logique d’objectif sans a priori, et non de moyens, pour laisser éclore une multitude d’innovations et les investissements industriels induits.
V. F. : Je suis fondamentalement optimiste parce que le mouvement vers le bas carbone est lancé. L’ensemble de l’écosystème se met en marche même si tout le monde n’a pas le même niveau de maturité. Les premiers de cordée entraînent le reste de la profession. La jeune génération, en recherche de sens notamment, aspire fortement à participer à la décarbonation de la filière bâtiment avec un engagement protéiforme.