La crise de la COVID-19 a frappé de plein fouet le monde de l’énergie, quel a été son impact sur les activités d’Enedis et quels enseignements en tirez-vous ?
La crise a été un moment complexe dans une situation inédite, où Enedis s’est montrée efficace et performante. Nous nous sommes adaptés immédiatement pour délivrer les missions de service public essentielles dont nous avons la charge mais aussi pour protéger la santé de nos salariés, de nos prestataires et de nos clients. Nous avons su être agiles et réactifs en faisant passer en quelques jours plus de 30 000 salariés en travail à distance, en soutien des 6 000 salariés engagés sur le terrain pour assurer la continuité des activités. En parallèle, Linky nous a permis de réaliser un grand nombre d’opérations à distance pour nos clients et leurs fournisseurs d’énergie. Enfin, nous avons su être solidaires : Enedis a été reconnue parmi dix entreprises exemplaires pour l’accompagnement de ses fournisseurs en termes de délais de paiement.
Depuis le 11 mai, toutes nos activités ont repris, c’était important pour nos partenaires et prestataires locaux, puisque 95 % de nos activités se font au niveau local.
J’ai par ailleurs considéré que cette période exceptionnelle était une opportunité pour s’interroger sur notre rôle social et sur l’avenir, sur notre positionnement et nos perspectives, en lançant une réflexion sur notre projet industriel & humain 2020-2025.
Lire aussi : Energie et climat : jusqu’où le covid-19 va-t-il rebattre les cartes ?
Pouvez-vous nous faire un rapport d’étonnement après 10 mois passés à la tête d’Enedis, de février à novembre 2020 ? Comment voyez-vous la place que doit prendre Enedis dans la transition énergétique ?
La transition écologique est un impératif et la crise que nous traversons doit être un accélérateur de transformation. Enedis est un acteur essentiel pour intégrer la production décentralisée, les nouvelles mobilités, la maîtrise de l’énergie. Travailler chez Enedis, c’est être au bon moment au bon endroit. Notre préoccupation première est que le réseau de distribution devienne encore plus moderne, bi-directionnel et « intelligent » pour le client.
J’ai décidé de lancer pendant le confinement en mai dernier une vaste consultation en interne, pour co-construire le projet industriel et humain d’Enedis. Cela n’avait jamais été fait sous cette forme auparavant. Nos 38 000 salariés ont été interrogés sur leurs attentes, sur les forces et les points de progrès d’Enedis. Un salarié sur deux y a participé et nous avons recueilli 180 000 contributions. Cette réflexion s’est poursuivie dans le cadre d’ateliers thématiques conduits durant l’été avec 9 000 salariés. En parallèle, nous avons rencontré nos parties prenantes : nos clients, les élus, les autorités organisatrices de la distribution, les associations, nos prestataires, nos fournisseurs. Nous avons souhaité savoir comment ils nous perçoivent : nos forces, nos axes d’amélioration, nos défis et nos enjeux afin d’en tenir compte dans notre projet d’entreprise. C’est également une première.
Présenté à la rentrée, ce projet est en train d’être mis en oeuvre. Nous sommes pleinement dédiés à notre mission de service public du XXIe siècle, à l’écoute des territoires et dans une relation de confiance renouvelée. Nous voulons renforcer nos savoir-faire au service de la transition écologique et simplifier notre quotidien pour simplifier la vie de nos clients.
Le réseau de distribution est au croisement de plusieurs dynamiques fortes : diversification du mix énergétique, rôle croissant donné aux territoires, décentralisation énergétique, volonté de garder un prix de l’électricité maîtrisé. Comment les faire cohabiter ?
Repenser l’énergie, sa production et ses usages est crucial partout dans le monde. Le développement des usages de l’électricité pour décarboner l’économie, la montée en puissance des énergies renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’innovation et le digital vont nous aider à trouver des solutions pour un monde plus respectueux de l’environnement et plus responsable.
Notre organisation territoriale autour de 25 directions régionales, réparties sur 800 sites est un gage de proximité et d’adaptabilité aux demandes et initiatives locales. Les orientations doivent clairement être adaptées au potentiel et à l’identité de chaque territoire.
Il n’existe pas de recette magique applicable partout. Enedis est ainsi pilote ou contributeur de nombreux projets de démonstrateurs sur le territoire français et en Europe pour tester grandeur nature des fonctionnalités et services très attendus : contribution à la gestion locale de l’intermittence de la production, de la variation de la demande et des éventuelles contraintes réseau associées, maîtrise de la consommation… Enedis a prévu d’investir près de 70 milliards d’euros d’ici 2035 en faveur de la transition écologique.
Le développement des énergies renouvelables dans les territoires est une attente d’une part de nos concitoyens. Comment faire coexister les communautés locales d’énergie et l’autoconsommation collective avec le réseau public ? Pourrait-on aller jusqu’à faire évoluer le principe de péréquation tarifaire ?
Nous vivons une transformation en profondeur de notre modèle énergétique qui était jusqu’à présent centralisé et unidirectionnel. Nous devons être capables désormais de collecter une électricité fournie par les nombreux acteurs des énergies renouvelables. Aujourd’hui plus de 450 000 producteurs photovoltaïques et éoliens (23 GW) sont raccordés au réseau. Ils seront entre 1 et 2 millions d’ici 10 ans, en ligne avec les prévisions de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie). Près de 90 % de ces raccordements se font aujourd’hui sur le réseau de distribution opéré par Enedis, d’où l’importance de maintenir nos investissements.
Notre réseau va devenir plus intelligent avec une accélération du stockage et des flexibilités. La péréquation tarifaire fait écho aux missions du service public de l’énergie qui « concourt à la cohésion sociale, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire » selon les termes du code de l’énergie. C’est un élément essentiel du service public de l’électricité.
Lire aussi : PPE : Equilibre des Energies invite à maintenir le cap sur la réduction des énergies fossiles
Un organe européen de coordination des gestionnaires de réseau se met en place. À quelles tâches devrait-il s’atteler et quel rôle Enedis envisage de jouer en son sein ?
La transition énergétique et la décentralisation de la production qui l’accompagne font jouer aux distributeurs, aux côtés des transporteurs, un rôle central dans l’équilibre du système électrique. En effet, les distributeurs, comme Enedis, deviennent des gestionnaires de système actifs face aux défis de la volatilité accrue de l’approvisionnement énergétique et de la stabilité du réseau. Planification et coopération globales entre opérateurs de réseau de transport (TSO) et opérateurs de réseaux de distribution (DSO) deviennent nécessaires.
Or, en Europe, il existe plus de 2 000 distributeurs de toutes tailles, ce qui ne facilite pas la convergence des vues. Créée par le règlement sur l’électricité (UE) 2019/943, l’entité DSO de l’Union européenne vise à favoriser la coopération entre tous les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité au niveau européen, indépendamment de leur taille et de leur type, en oeuvrant pour l’intérêt européen commun. Et de renforcer la coordination entre réseaux de transport et de distribution.
Enedis contribue à relever ces défis, soit directement, soit au travers de l’association E.DSO présidée par Christian Buchel d’Enedis, qui rassemble 41 des plus gros gestionnaires de réseau de distribution d’électricité en Europe.
Dans le cadre des négociations portant sur le TURPE 6*, Enedis plaide en faveur d’une prise en compte plus marquée de la puissance souscrite dans la tarification. Pourquoi ? Quel en serait l’impact pour les consommateurs ?
Notre mission de service public du XXIe siècle nous amène à investir pour faciliter la transition énergétique, développer et renouveler le réseau public de distribution : c’est principalement au travers du TURPE que sont couverts nos coûts et rémunérés nos investissements. Cela implique de nous rémunérer justement en tant qu’industriel engagé, responsable et innovant, au coeur de la relance verte de l’économie.
Pour le consommateur final, résidentiel ou professionnel, les réseaux représentent un peu moins du tiers de leur facture. La transition énergétique entraîne une évolution des usages électriques (véhicule électrique, pompe à chaleur, autoconsommation solaire…). De façon générale, on observe, efficacité énergétique oblige, un mouvement vers moins d’énergie par usage et plus d’usage de l’électricité. Il devient alors relativement plus important de gérer les appels de puissances que la consommation d’énergie.Dans le contexte de la fin du déploiement massif de Linky, le TURPE 6 offre l’opportunité d’établir des signaux-prix efficaces permettant d’orienter la demande, et donc ensuite les investissements, vers les solutions qui créent le plus de valeur pour les collectivités.
Pour les particuliers et les professionnels, nous travaillons donc avec la Commission de régulation de l’énergie sur des grilles tarifaires distinguant l’été de l’hiver et les heures pleines des heures creuses avec une part relative du prix de la puissance souscrite renforcée. Le TURPE 6 devrait s’appliquer à partir de l’été 2021 pour une période de quatre ans.
Comment se déroule la phase d’achèvement du déploiement du Linky ? Le développement du pilotage des usages via le compteur Linky est-il à l’ordre du jour ?
Trois foyers sur quatre sont dorénavant équipés de Linky. Fin 2021, ce seront 35 millions de compteurs qui seront installés auxquels il faut ajouter 500 000 compteurs communicants chez des clients industriels. Aujourd’hui, Enedis gère le plus important parc d’objets connectés en France. 90 % de nos clients se sont déclarés satisfaits à la pose. Pendant le confinement, les Français se sont massivement abonnés à leur espace personnel sur Internet via l’application Enedis à vos côtés. Ils sont désormais 1,2 million à avoir activé leur compte et à le consulter régulièrement.
Nous avons fait la démonstration pendant la crise sanitaire que Linky était très efficace et nous était indispensable. C’est ainsi que nous avons pu effectuer deux millions de télé-opérations (mises en service, déménagements, changements de puissance, etc.) et 10 000 diagnostics à distance. Linky nous permet également de piloter le réseau, de dépanner un client avant même que celui-ci ne se rende compte qu’il y avait une panne. En outre, Linky facilite la maintenance préventive grâce à l’intelligence artificielle. Enfin, nous pouvons fournir des données solides à nos clients et des données agrégées aux collectivités locales pour les aider, par exemple, à cibler efficacement leurs actions de rénovation énergétique des bâtiments.
Lire aussi : Familles de France : la parole aux consommateurs – DPE et Linky
Plus généralement, quel impact aura la pénétration du numérique sur le fonctionnement d’Enedis ?
Enedis dispose d’un ADN singulier : c’est une entreprise industrielle et humaine, technologique et de terrain, et dont les 38 000 salariés portent très haut les valeurs du service public partout en France.
La transformation digitale de l’entreprise est impulsée depuis plusieurs années. L’organisation d’Enedis et les compétences s’adaptent aux nouveaux besoins des clients mais aussi aux technologies nouvelles qui permettent plus de réactivité et d’anticipation dans nos activités de distributeur.
Cette transformation va se poursuivre, boostée par l’innovation, et va permettre de relever le défi de la transition écologique, tout en maîtrisant les coûts.
Quelles sont vos actions en appui du développement de la mobilité électrique ? Le réseau est-il prêt à supporter la charge induite par le développement du véhicule électrique ?
Le réseau est prêt à accueillir les mobilités propres. Enedis est très impliquée sur les différents cas d’usage : la recharge en voirie, sur autoroutes, en résidence collective, pour les bus, les cars, les bateaux, la recharge hydrogène…
Enedis a déjà raccordé 30 000 bornes de recharge publiques au réseau de distribution d’électricité, et est prête à en connecter 70 000 de plus partout en France d’ici à 2021 pour répondre à l’objectif du plan de relance de la filière automobile annoncé par le président de la République fin mai et confirmé dans le plan de relance du gouvernement début septembre. Les objectifs de la PPE sont ambitieux, avec l’installation de 500 à 600 000 points de charge publics d’ici 2028, en ligne avec l’objectif de plus de 5,3 millions de véhicules électriques à cet horizon. Enedis s’est engagée auprès de tout un écosystème d’acteurs tant sur la mise au point de solutions de recharge que de pilotage, permettant de préparer le déploiement industriel des véhicules électriques.
Et aujourd’hui, 12 % des véhicules de la flotte d’Enedis sont électriques, ce qui en fait la deuxième flotte électrique d’entreprise en France. Un retour d’expérience que nous partageons avec les entreprises et les collectivités. Notre ambition est d’électrifier la totalité de notre flotte de véhicules d’ici 2030
Lire aussi : Une accélération de la politique de développement des mobilités propres