La crise sanitaire débouche sur une crise économique. Un sursaut s’impose au moyen de politiques publiques vigoureuses. La rénovation immobilière doit constituer l’un des piliers de ce rebond.
Lorsqu’en 1833, le roi Louis-Philippe nomme Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau, au poste de préfet de la Seine, l’épidémie de choléra de 1832 a déjà emporté plus de 18 000 Parisiens en l’espace de six mois. Dans sa première lettre au Roi, le comte expose : « Dans la mission que Votre Majesté m’a confiée, je n’oublierai jamais que mon premier devoir est de donner aux Parisiens de l’eau, de l’air et de l’ombre ». On ne saurait mieux dire ! Seize années plus tard, la seconde épidémie de choléra marquera également la pensée du baron Haussmann dans son programme de restructuration profonde de la ville.
Dans les deux cas, la sortie de la crise sanitaire s’est traduite par une vigoureuse politique publique. Sans doute le contexte n’est-il plus le même et les motivations extra-sanitaires n’ont plus leur place aujourd’hui mais il reste que l’idée d’une relance de l’économie par l’immobilier garde toute sa
pertinence.
Plus précisément, la redynamisation de l’industrie immobilière, durement touchée par la mise à l’arrêt des chantiers et, plus profondément sans doute, par le gel des autorisations d’urbanisme – c’est-à-dire les chantiers de demain –, devra s’appuyer à très court terme sur les projets de rénovation, les constructions neuves étant probablement décalées de six à douze mois.
Qui dit rénovation du bâtiment renvoie immédiatement à la question de l’énergie : on le sait, le parc résidentiel et tertiaire est en France le premier consommateur d’énergie (environ 44 % des consommations totales) et le deuxième émetteur de gaz à effet de serre (hors approche en cycle de vie). Pour autant, l’approche énergétique ne suffit probablement plus et devra être enrichie, en particulier d’un volet santé et bien-être.
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Les attentes révélées par la crise sanitaire
Ce n’est pas tant la crise sanitaire elle-même que les mesures, inédites, de confinement et de distanciation physique qui ont fait apparaître des besoins, soit proprement nouveaux, soit latents mais devenus subitement prioritaires.
En premier lieu, le confinement a cristallisé les inégalités sociales face au logement : surfaces exiguës versus appartements confortables, logements urbains sans accès au plein air et à la nature versus résidences secondaires dotées d’espaces verts, logements distants du lieu de travail imposant le recours aux transports en commun versus logements aptes à accueillir une activité en télétravail, logements adaptés permettant le maintien à domicile des personnes âgées versus logements imposant le départ en EPHAD… Cette liste doit en outre être complétée par d’autres inégalités rendues visibles par la crise mais non directement liées au bâtiment lui-même : fracture numérique, nature de la profession exercée, âge des enfants…
En second lieu, les entreprises ont pu faire le constat de l’inadaptation assez criante des aménagements de bureaux les plus répandus à la crise sanitaire : les publications annonçant la mort de l’open space font ainsi florès depuis deux mois et pronostiquent la fin des espaces de travail non cloisonnés, remettent en question le modèle pourtant tout neuf du cotravail (coworking) et rebattent les cartes des besoins en immobilier face à un exercice professionnel devenu plus amplement dématérialisé.
Enfin, le numérique a rendu possible, au prix d’une mise à niveau parfois brutale, le maintien d’une activité, même diminuée, pour beaucoup de professions.
Une mise en œuvre différenciée
Les réponses aux attentes révélées par le confinement et à celles antérieures auxquelles il n’a pas été répondu pendant trop longtemps ne pourront évidemment pas être univoques mais supposent de disposer d’une palette de politiques, pilotées conjointement par l’État et les collectivités locales.
La mise à niveau du parc résidentiel est sans doute le sujet le plus difficile car il appelle une mobilisation et une vision partagées entre des acteurs privés mus par leurs intérêts particuliers et des acteurs publics garants de l’intérêt général. Il n’en reste pas moins que le parc résidentiel comprend aujourd’hui une portion de logements énergivores (3,1 millions sur 6,5 millions de logements) dont la position sur le marché ne peut que se dégrader : pour les bailleurs, ces passoires thermiques seront un jour ou l’autre démonétisées voire interdites de location ; pour les locataires, elles deviendront sur les plans financier et sanitaire insupportables. Une requalification dynamique du parc résidentiel privé doit donc être envisagée. La lutte contre la précarité énergétique trouve naturellement sa place dans cette approche.
En second lieu, le parc tertiaire est appelé à s’adapter pour tenir compte des contraintes du confinement dont la réitération est possible. En premier lieu, l’obligation d’amélioration de la performance énergétique, activée par le décret du 23 juillet 2019 et son arrêté du 10 avril 2020, est applicable et devrait conduire les propriétaires et locataires à réaliser les rénovations pour respecter les exigences réglementaires et pour répondre aux standards du marché.
En dernier lieu, le numérique ne doit surtout pas être oublié dans les projets de rénovation, tant il rend possible une meilleure utilisation des bâtiments, amortit les effets d’une crise et assure une continuité d’utilisation ou d’usage.
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Des outils largement disponibles et quelques outils nouveaux à inventer
Le passage à l’acte suppose de disposer des outils juridiques et financiers nécessaires, si l’on considère que les solutions techniques sont à portée de main.
Au plan juridique, beaucoup a déjà été fait et les outils sont maintenant connus et éprouvés. La pratique des contrats de performance énergétique a permis, depuis leur émergence il y a 10 ans environ, de développer un savoir-faire, des pratiques de marché et des résultats très probants. Cet outil permet de garantir la performance contractuelle et de sécuriser le flux d’économies dans la durée. Il mérite aujourd’hui d’entrer dans une deuxième phase de généralisation, au travers de modèles équilibrés et faciles d’accès. Certains acteurs se sont au demeurant déjà mobilisés en ce sens, soit en publiant des retours d’expérience attestés, soit en bâtissant des cadres contractuels types.
Le recours aux certificats d’économie d’énergie ensuite facilite le financement des actions de rénovation et pourrait être amplifié pour accompagner la démarche de rénovation.
De façon plus innovante, il serait sans doute judicieux d’envisager sans tarder les modalités de participation au financement des rénovations des investisseurs et promoteurs non habituellement sollicités sur ce point. Cette approche implique une redéfinition des outils de tiers financement et de tiers investissement en vue de réorienter une partie des fonds du neuf vers la rénovation.
La sortie de crise sanitaire appelle une mobilisation des pouvoirs publics, nationaux et locaux, pour limiter l’ampleur de la crise économique qui s’annonce. Contrairement à une idée reçue, l’immobilier n’est pas un secteur immobile et peut permettre de susciter une activité soutenue dans l’économie réelle, à destination d’entreprises de toutes tailles et diffusant sur tout le territoire.
Le gouvernement travaille à un plan de « relance » ou de « rebond » de l’économie et ne devrait pas faire l’impasse sur la rénovation du parc de bâtiments. Il faut le souhaiter. L’Union européenne a déjà ouvert la voie avec le plan « Next Generation UE » présenté à la fin du mois de mai dernier.