La crise des « Gilets jaunes » a récemment mis en avant les difficultés de mener à bien la transition énergétique sans menacer le pouvoir d’achat et le niveau de vie des Français. Quelques semaines avant les premières manifestations, le député du Vaucluse Julien Aubert (LR) était notre invité pour débattre de cette question.
Julien Aubert débute son propos en revenant rapidement sur la politique de l’énergie en France. Il déplore tout d’abord que ce terme ne recouvre en général que le secteur électrique et notamment la filière nucléaire, mettant de côté les énergies fossiles qui sont pourtant le coeur du problème. Cette focalisation sur l’électricité provoque ainsi un affrontement entre énergie nucléaire et énergies renouvelables alors que la substitution de l’une par l’autre serait un non-sens, la production électrique française étant déjà largement décarbonée. Il rappelle ensuite que le secteur de l’énergie est une compétence du ministère de l’Environnement, ce qui est problématique dans la mesure où les objectifs de transition énergétique et ceux des filières industrielles du secteur peuvent être contradictoires et nécessitent surtout des compétences différentes.
Pour le député, la politique française de l’énergie est tombée dans le piège de la communication politique en imposant une planification basée sur des objectifs théoriques, oubliant les contingences économiques et les réalités industrielles mais aussi sociales. Pour la rendre plus efficace, il est important qu’elle puisse être discutée plus largement au Parlement notamment en termes budgétaires. Le financement de la transition énergétique est en effet dans un compte d’affectation spécial du budget et donc non débattable par les parlementaires, les Certificats d’économies d’énergie (CEE) étant même extrabudgétaires. Julien Aubert pointe un manque crucial de visibilité et surtout d’évaluations des politiques publiques dans ce secteur, rejoignant en cela les propos de Michel Colombier.
Il plaide ainsi pour la création d’un commissariat de la transition énergétique qui aurait pour tâche d’évaluer les dispositifs existants, d’y remettre de l’ordre en développant une vision claire des priorités à poursuivre et de donner à l’Etat un rôle de stratège en coordonnant et contractualisant avec les collectivités locales dans leurs initiatives de développement des énergies renouvelables.
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La transition énergétique est-elle viable économiquement ?
La transition énergétique coûte chère et plus chère qu’on peut le penser car il ne faut pas oublier les coûts de substitution. Ainsi, même si les prix des énergies fossiles montent, le passage à des énergies décarbonées demande un investissement important que ce soit pour passer d’un véhicule diesel à un véhicule électrique, d’une chaudière au fioul à une pompe à chaleur ou à plus large échelle, d’un réseau de centrales pilotables à un maillage de centrales intermittentes. Ces transformations amènent aussi de nouvelles problématiques et dépendances comme celles au cuivre ou aux terres rares. C’est pourquoi Julien Aubert préconise de s’orienter vers des solutions flexibles permettant selon lui de mieux encaisser les chocs de la mondialisation sans devoir transformer radicalement et prend l’exemple des véhicules hybrides ou du power to gas.
Le Député ne remet néanmoins pas en cause l’intérêt des énergies renouvelables dont les prix baissent constamment et qui, malgré les problématiques inhérentes à leur massification, peuvent ouvrir de nouvelles opportunités et revenus pour des territoires fragiles. Les panneaux photovoltaïques, mieux acceptés que les éoliennes, pourraient par exemple être utilisés pour aider les agriculteurs à diversifier leurs revenus. Cela suppose toutefois leur intégration dans une véritable politique d’aménagement du territoire et un partenariat plus fort et soutenu entre l’Etat et les collectivités locales.
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Quels rôles pour les collectivités locales ?
Si l’Etat doit rester stratège, les collectivités locales doivent aussi être prises en compte et peuvent mener de nombreuses actions pour favoriser les transformations. Les intercommunalités sont ainsi les plus à même de mener à bien les opérations de rénovation des centres-ville anciens mais elles doivent pouvoir être soutenues financièrement par l’Etat et les régions. Ces dernières auraient, elles, un rôle important à jouer dans le développement de la production d’énergie renouvelable en planifiant et organiser le déploiement de centrales solaire, de parcs éoliens, etc. sur leurs territoires.
Il met toutefois en garde contre le décalage, de plus en plus prononcé avec l’agrandissement des régions, entre des élus majoritairement urbains et les territoires ruraux. Les décisions prises et les objectifs définis peuvent ne pas être pensés dans l’intérêt de ces territoires. Le financement du développement de trottinettes électriques n’a ainsi aucun sens pour un territoire rural, de même la construction de parcs éoliens peut poser problème pour des communautés rurales qui souhaitent préserver leur paysage.
Ce sont ces décalages entre décisions politiques et réalités sociales contre lesquels met en garde le député et il termine en évoquant le cas du compteur Linky qui a été difficile à imposer et qui soulève toujours de très nombreuses résistances vis-à-vis de cette obligation. Tout ceci est selon lui dû au manque de communication et de prise en compte de populations qui l’ont vu arriver avec méfiance.
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Faut-il anticiper une dénucléarisation ?
La question de la prolongation du parc nucléaire ou de son démantèlement ne doit pas être prise à la légère et doit faire l’objet d’une véritable réflexion et surtout planification. Julien Aubert propose que le commissariat à la transition énergétique qu’il souhaite voir créer s’occupe d’analyser et de décider, zone par zone, si l’on peut garder ou non les centrales et surtout se pencher sur ce qui sera fait à la place si on ne les garde pas. Faut-il démanteler, passer à un réacteur de nouvelle génération, etc. ? L’important est surtout de veiller à la reconversion des emplois et de prendre en compte la situation des territoires sur lesquels se trouvent ces centrales car les fermetures peuvent avoir des conséquences locales dramatiques.
Pour notre invité la filière nucléaire n’est pas un problème et est au contraire utile pour notre indépendance énergétique. C’est en outre une filière développée en France qui repose sur un savoir-faire et qui emploie quelque 200 000 personnes. Il ne faut pas non plus oublier toute la recherche scientifique qui y est associée notamment les projets ASTRID pour la transmutation des déchets ou ITER pour la technologie de la fusion nucléaire.
Le mot du président
Suite à ces échanges, le Président Brice Lalonde a souhaité réaffirmer la nécessité de donner une direction et une destination précise à la transition énergétique pour que celle-ci soit efficace. Il rejoint les propos de Julien Aubert sur le besoin de remettre les choses au point sur les politiques publiques et les dispositifs d’investissement pour y voir plus clair et pouvoir les évaluer le mieux possible. Il rappelle enfin son intransigeance sur la réalité du réchauffement climatique qui ne saurait être remise en cause et qui doit rester la priorité.
Ce qu’en pense EdEn
En pleine colère sociale matérialisée par le mouvement des gilets jaunes, notre association considère qu’il faut associer pleinement les Français et les territoires dans la conduite de la transition énergétique afin que chacun bénéficie de ses fruits et qu’elle ne soit pas considérée comme un « luxe ».
C’est en ce sens qu’EdEn propose dans le secteur du Bâtiment des mesures concrètes visant autant à accompagner la migration vers des solutions de chauffage et de climatisation décarbonées dans des logements collectifs que dans des maisons individuelles isolées. De plus, l’accès à la mobilité électrique ne doit pas être limitée aux citadins, c’est pourquoi EdEn milite en faveur d’un large plan de déploiement de bornes de recharge impliquant directement les collectivités territoriales.