La question de la conduite la transition énergétique est toujours prégnante trois ans après l’Accord de Paris. En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ont pour vocation de définir la marche à suivre pour atteindre ces objectifs. Quelques semaines avant la présentation de la PPE par le Président de la République, EdEn avait souhaité en débattre avec Michel Colombier, Président du Comité d’expert pour la transition énergétique et directeur scientifique de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Le fil rouge de cet Atelier-Débat est l’évolution du mix énergétique de la France dans les prochaines décennies afin d’atteindre une neutralité carbone à l’horizon 2050. Face à cet objectif, Michel Colombier rappelle d’abord les différents documents dont le pays dispose à ce jour pour y parvenir (LTECV, SNBC, PPE) mais aussi le relatif échec de secteurs cruciaux comme le bâtiment et les transports au niveau de leurs réductions d’émissions de CO2. Ce constat lui permet de réaffirmer la nécessité, d’une part, d’une meilleure évaluation des politiques publiques concernant la transition énergétique et, d’autre part, de stratégies et d’arbitrages précis et réalistes puisqu’il n’y a aucune intérêt à définir des objectifs que l’on ne peut concrétiser.
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Pour Michel Colombier la transition énergétique est essentiellement une expérimentation à grande échelle qui a pour but de tendre vers une production et des vecteurs énergétiques décarbonés tout en transformant en profondeur les modes de consommation de ces vecteurs. Selon le directeur scientifique de l’Iddri, le mix énergétique de la transition énergétique ne pourra pas s’appuyer sur des consommations venant pour plus de la moitié du vecteur électrique, précisant que ce ne serait de toute façon pas bon de vouloir atteindre plus de 50 % puisque ce serait se priver d’autres vecteurs qui ont leur avantage.
Michel Colombier prend ainsi l’exemple des cultures intermédiaires qui peuvent produire du biogaz/biométhane tout en permettant une conservation des sols, une amélioration de la biodiversité et participer à la recarbonation des sols agricoles qui pourrait alors servir de piège à carbone comme le sont aujourd’hui les forêts. Ce potentiel est très important en France après des décennies de décarbonation des sols agricoles et Michel Colombier encourage vivement à les utiliser afin d’aider dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Quels sont les scénarios énergétiques possibles ?
Pour viser la neutralité carbone en 2050 il y aujourd’hui le scénario AMS (Avec Mesures Supplémentaires), liés à la SNBC et à la PPE, qui propose des mesures complémentaires à prendre afin d’atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de la France. Ce scénario prévoit, au niveau de la production d’énergie, 400-450TWh de biomasse, 100-150TWh de chaleur renouvelable et le reste (500-600TWh) d’électricité décarbonée.
S’il existe un consensus assez large sur ce que peut et doit être la production énergétique décarbonée de demain, cette vision est loin d’être définie pour le secteur clef des transports. Cet état de fait pose un problème car il est indispensable de commencer à préparer les filières industrielles. Michel Colombier déplore ainsi l’absence, dans la SNBC comme dans la PPE, de réponses précises à la question de ce que doit être le secteur du transport décarboné de demain.
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Quelle influence peut avoir la France sur la transition énergétique internationale ?
L’organisation de la COP21 a bien montré que la France a conscience de la nécessité d’une coopération entre pays en matière de transition énergétique et qu’elle a un poids international fort. L’Accord de Paris a ainsi permis l’implication de tous les pays ou presque et notamment des pays qui, jusqu’à présent, étaient restés en marge des accords internationaux sur le climat et ne se sentaient pas ou peu concernés.
Il est important que la France reste présente sur le terrain de la transition énergétique car même si certains arguments avancent que la France n’est responsable que d’1% des émissions mondiales, nous devons montrer l’exemple pour plusieurs raisons. D’un point de vue diplomatique il est nécessaire d’être à l’avant-poste de la transition énergétique si l’on veut donner des leçons aux autres et les convaincre d’eux aussi faire des efforts. Ensuite participer à cette transformation internationale permet à nos filières industrielles de rester compétitives, d’innover et de produire des biens et services de valeur à exporter.
Quelles seraient les fausses solutions pour la transition ?
A cette question, Michel Colombier revient sur la nécessité de faire des bilans des solutions développées afin de voir si elles permettent d’organiser les transformations structurelles nécessaires pour atteindre les objectifs ou si elles restent marginales. Il prend l’exemple des travaux effectués grâce au CICE dont aucun bilan n’a été fait pour savoir s’ils ont été utiles et efficaces.
Il les oppose à un autre exemple, celui du développement du réseau de chaleur en Suède qui a été mené par des investissements importants de la part du gouvernement et des collectivités pour modifier en profondeur le système de chauffage en créant des infrastructures, des réseaux et des filières industrielles. Si au départ il fonctionnait principalement au charbon, le fait d’avoir mis en place toute cette organisation a permis à la Suède de plus facilement et rapidement passer à des solutions décarbonées.
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Le mot du président
Le Président Brice Lalonde appelle à prendre en compte le monde vivant qui est déterminant pour réguler le climat et qui offre un potentiel de solutions notamment dans la capture du carbone par les forêts ou, comme l’a mentionné Michel Colombier, par les sols agricoles encore sous-exploités.
Ce qu’en pense EdEn
EdEn partage plusieurs points soulevés par Michel Colombier au cours de cet Atelier-Débat. Tout d’abord sur la nécessité d’accélérer rapidement la sortie des énergies fossiles, sans laquelle la neutralité carbone est impossible. De plus, EdEn estime qu’il faut donner une grande importance au développement des filières industrielles fortes en adéquation avec l’objectif de décarbonation, tant dans les modes de production que de consommation. A titre d’exemple, notre association considère qu’il faut s’appuyer sur des technologies comme les pompes à chaleur qui en plus de faire largement appel aux énergies renouvelables pour créer de la chaleur et du froid, sont en grande partie conçues sur notre territoire.
Toutefois, EdEn ne rejoint pas la vision de Michel Colombier sur la place que doit occuper le vecteur électrique en France. En effet, nous considérons que le scénario AMS présenté dans les scénarios de la PPE et de la SNBC (400-450TWh de biomasse, 100-150TWh de chaleur renouvelable, 500-600TWh d’électricité décarbonée) est le plus à même de rendre réalisable la neutralité carbone et pour cela, la consommation finale d’électricité décarbonée doit atteindre 50 %.