L’écologie regroupe plusieurs thématiques – lutte contre le réchauffement climatique, préservation des écosystèmes, gestion de l’eau et des sols, etc. –, qui interagissent entre elles. Y a-t-il aujourd’hui une préoccupation dominante ?
Brice Lalonde : La lutte contre le réchauffement climatique est la priorité absolue car il a une incidence sur l’ensemble de la biosphère, sur notre vie de tous les jours et sur l’avenir même de l’humanité.
Le réchauffement climatique impacte la végétation, les terres agricoles, les ressources en eau, les animaux… Il crée des désordres majeurs et, qui plus est, il s’auto-accélère car il dégrade les puits de carbone, notamment à cause des feux de forêts et de la fonte des glaces aux pôles. Et la dépendance aux énergies fossiles dans le monde, et au charbon en particulier, est loin de s’atténuer : après la pause de 2020 due à la Covid, les résultats de l’année 2021 résonneront comme un signal d’alarme.
Vous avez été un précurseur dans le domaine de l’écologie. Pensez-vous qu’être écologiste a encore aujourd’hui un sens ou bien que tout le monde doit être écologiste ?
B. L. : Quasiment tous les Français considèrent aujourd’hui les questions écologiques comme essentielles. Nous n’avons donc pas oeuvré pour rien. La bataille est-elle gagnée ? Certainement pas, car trop de Français estiment encore qu’il y a le temps et ont une vision trop idéalisée de l’écologie.
Je suis pour une écologie de gouvernement, celle qui analyse lucidement la situation et fait l’effort de proposer des solutions qui puissent être mises en oeuvre en proposant une stratégie de reconquête de l’environnement tout en préservant le niveau de vie des populations. C’est évidemment beaucoup plus difficile que de se contenter de dénoncer des dérives que tout le monde déplore, mais c’est l’objectif que doivent se donner aujourd’hui les écologistes.
Est-il encore possible, compte tenu du niveau atteint par la population, de concilier la croissance économique et le bien-être des populations avec le respect de l’environnement et des ressources naturelles ?
B. L. : L’écologie doit contribuer à une prospérité qui soit la moins intensive possible en carbone, la moins destructive de la nature. Elle ne doit pas se complaire dans des interdits, mais s’appuyer sur ce que l’Humanité sait faire de mieux : innover. La décroissance n’est pas un programme enviable car l’immense majorité des habitants du globe souhaite maintenir ou améliorer son niveau de vie. C’est en répondant à ce souhait que les régimes politiques se maintiennent et que le monde connaît une relative tranquillité.
Peut-on encore aujourd’hui croire au progrès technique et si oui, quelles sont les avancées qui vous semblent à la fois possibles et essentielles ?
B. L. : Bien sûr, je crois au progrès technique : nous le vivons tous les jours. Regardez les progrès considérables sur l’éclairage par LED, le développement du télétravail, l’arrivée massive des véhicules électriques, les progrès des batteries, la capture du CO2… Et le progrès va se poursuivre, dans les techniques du numérique notamment et, croyez-moi, dans 30 ans nous regarderons nos data centers actuels, qu’on accuse d’être des gouffres à énergie, comme on regarde aujourd’hui les lampes à huile.
Le progrès technique est d’ailleurs la seule voie permettant aux pays les moins avancés de parvenir à un niveau de développement acceptable sans pour autant dérégler à tout jamais le système climatique. La Chine est engagée dans cette voie depuis 20 ans mais le chemin reste long et difficile.
Le débat se cristallise en France sur le choix qui s’imposerait selon certains entre énergie nucléaire et énergies renouvelables. Quelle est votre position sur ce débat ? Pensez-vous que la prochaine élection présidentielle pourrait-être l’objet d’une clarification ?
B. L. : Le débat entre le nucléaire et les énergies renouvelables est totalement dépassé. Le combat doit se porter contre la prépondérance des énergies fossiles qui représentent encore 62 % de la consommation d’énergie de notre pays et beaucoup plus au niveau mondial. On ne peut plus se permettre le luxe d’être contre l’énergie nucléaire, on n’a pas le choix. À l’élection présidentielle, j’attends des candidats qu’ils se positionnent sur des propositions qui permettent de tendre vers une consommation d’énergie 100 % décarbonée à un prix accessible pour les Français et les entreprises. Le nucléaire et les renouvelables y auront nécessairement leur place.
Sur le plan français, quelles devraient être aujourd’hui les priorités des politiques publiques ? N’en fait-on pas trop pour les énergies renouvelables ? Quelles énergies les Français devraient-il être incités à consommer ?
B. L. : On parle trop des énergies que l’on produit et pas assez de celles qu’on utilise. Les Français ne consomment pas de l’énergie éolienne, ils consomment du fioul, du gaz, de l’électricité, de la chaleur… bref des énergies finales. Une priorité des politiques publiques devrait être d’inciter les Français à consommer des énergies neutres en carbone. En France, l’électricité en fait partie et il faut au moins doubler sa part dans le bilan énergétique des consommateurs. Mais ceci ne suffira pas : il faut aussi développer l’usage de l’hydrogène, se mettre d’accord sur la biomasse et le biogaz, consommer sans contrainte la chaleur du soleil, de la géothermie, de l’environnement que l’on peut capter par un développement massif des pompes à chaleur.
Sur le plan européen, le programme Fit for 55 a été lancé dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe. Quelles devraient être ses priorités ?
B. L. : La priorité du paquet Fit for 55 devrait être – comme son nom l’indique – la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe d’ici 2030.
Pourtant, quand on regarde le détail des textes, ce n’est pas la décarbonation qui est mise au centre de la politique européenne mais la réduction des consommations énergétiques, qu’elles soient fossiles, renouvelables ou bas carbone. C’est une erreur de stratégie parce que nous avons besoin d’énergie. La transition énergétique vers des énergies décarbonées nécessite de recourir à des vecteurs énergétiques neutres en carbone qui ne se trouvent pas dans la nature, mais qui doivent être produits avec de l’énergie et des équipements qu’il faut fabriquer. Je pourrais citer l’électricité bien sûr, mais aussi l’hydrogène vert, l’hydrogène bleu, les carburants de substitution pour l’aviation… Il faut donc accepter de ne plus avoir une approche comptable des calories dépensées, mais viser l’efficacité climatique.
En portant au pinacle le principe de l’Energy efficiency first dans la directive efficacité énergétique, la Commission européenne oublie l’essentiel : l’urgence est climatique et le principe fondamental devrait être Emission reduction first.
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La France et l’Europe se fixent des objectifs climatiques très ambitieux alors même que nous ne sommes pas les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre afin de tracer la voie pour les autres pays. Est-ce que ce projet d’une Europe entraînant le reste du monde dans la transition énergétique est réaliste d’après vous ?
B. L. : Je pense qu’une Europe neutre en carbone serait un exemple irrésistible pour le reste du monde. La France seule ne suffirait pas, mais qu’un continent entier réussisse, je ne crois pas que la jeunesse du Monde accepterait que leurs gouvernements ne fassent pas le même effort. On voit en tout cas que de plus en plus de pays, hors Union européenne, commencent à s’inquiéter du réchauffement climatique et travaillent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Mais il faut que les objectifs soient réalistes et atteignables. Il ne sert à rien de faire du volontarisme de papier et de rehausser les objectifs chaque fois que l’on constate que l’on est en retard dans leur réalisation. Les gouvernements s’exposent à une perte de crédibilité et même, c’est nouveau, à des actions judiciaires de la part de parties prenantes qui estiment que leurs gouvernements n’ont pas mené les actions nécessaires.