Aujourd’hui, la ville intelligente est au cœur de nombreux travaux et réflexions et cela sur tous les continents ; chaque espace essayant de rationaliser au mieux les usages de ses centres urbains. Notre association a contacté Emilien Maudet, Directeur solutions Smart Cities chez EMBIX, afin de nous éclairer sur cette ville qui a pour objectif de lier transition numérique et transition énergétique.
La Smart City ou ville intelligente est actuellement en plein essor et cela partout dans le monde. Dans quelle mesure arrive-t-elle à lier le numérique et les impératifs de développement durable ?
Emilien Maudet : Il y a bien des projets « smart city » un peu partout dans le monde depuis quelques années. En 2017, la plupart des grandes villes ou métropoles françaises avaient un programme smart city d’initié. On peut voir que ces programmes concernent des services ou des solutions très variés. Le déploiement des nouvelles technologies est effectué sur de multiples services urbains : santé, sécurité, transport, eau, éclairage public, assainissement, énergie, e-administration, éducation … Du paiement des parcmètres par smartphone jusqu’aux capteurs de remplissage des poubelles pour la facturation incitative, on trouve beaucoup de services différents.
Parmi toutes ces technologies, certaines permettent la mise en place de systèmes urbains plus durables. Comme par exemple les énergies renouvelables, l’autopartage, les mobilités douces en libre-service, le maintien à domicile des seniors ou les bâtiments moins énergivores.
Pour réduire l’impact sur l’environnement des infrastructures existantes (routes, bâtiments, réseaux électriques…), ces services reposent de plus en plus sur des applications smartphone, web et des logiciels industriels. Ces NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) permettent de proposer le service à chacun, et d’optimiser les infrastructures.
A l’instar de plus d’une vingtaine de villes françaises dont Paris, ou encore Nanterre, Issy-les-Moulineaux a lancé sa propre initiative de ville intelligente. Que pouvez-vous nous dire sur ses spécificités ?
EM : Issy Les Moulineaux est l’une des villes françaises pionnières de la ville intelligente. Des délégations du monde entier viennent chaque mois visiter les projets qui y sont menés : Japon, Thaïlande, Arabie Saoudite, Chine, Brésil, USA… Des bus entiers amènent ces élus et professionnels découvrir ses projets depuis plusieurs années. La ville a su favoriser la mise en place d’expérimentations du secteur privé sur son territoire. De grands groupes tels que Cisco, Bouygues, Transdev et de nombreuses entreprises plus petites expérimentent leurs nouveaux produits dans cet environnement fertile.
A Paris et Nanterre je travaille sur des projets de construction et d’aménagement de quartiers neufs. Ces grands projets ont pour objectif d’être des éco-quartiers durables de quelques centaines à quelques milliers de personnes. Des bâtiments « connectés » et des réseaux d’énergie « intelligents » intègrent des technologies pour optimiser les énergies renouvelables, les consommations d’énergie et la facture énergétique que payent les occupants du quartier. Il s’agit d’immeubles de bureaux, de logements, des écoles, des cinémas, des réseaux de chaleur, d’éclairage public… Les produits de domotique et les équipements industriels connectés permettent de proposer de nouveaux services et d’optimiser les infrastructures.
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Vous travaillez sur les solutions logicielles pour recueillir et modéliser les différentes données transmises par bâtiments et installations de la ville. Quels sont les premiers retours de l’expérience IssyGrid ?
EM : IssyGrid a été lancé en 2011, c’est l’un de mes premiers projets. Un des premiers retours d’expérience d’IssyGrid est la différence d’approche à avoir lorsqu’on travaille sur un quartier en neuf ou sur un quartier existant. On ne peut pas déployer les mêmes procédés selon que l’on agit dès la phase de conception d’un quartier ou selon que l’on intervient une fois les bâtiments et réseaux entrés en phase de gestion et d’exploitation. Les acteurs en présence ne sont d’ailleurs plus du tout les mêmes.
IssyGrid est un projet sur 2 quartiers existants (Le Fort d’Issy et Seine Ouest) sur lequel nous testons des solutions afin de dresser les cahiers des charges des quartiers à construire. Il nous a permis d’identifier des freins technologiques, réglementaires et managériaux au smart grid et d’adapter nos services et produits : aux réglementations sur l’utilisation des données personnelles, aux principes d’architecture télécom, aux mécanismes de stockage de l’énergie, d’autoconsommation et d’effacement électrique, aux principes d’intégration industrielle … Les enseignements ont été nombreux.
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Au cours de votre cursus, vous avez su combiner l’enseignement relatif aux nouvelles technologies et à l’urbanisme. Pensez-vous que la formation devrait mettre l’accent sur les liens entre ces deux mondes qui sont appelés à plus en plus se rapprocher au cours des prochaines années ?
EM : La plupart des secteurs d’activité présentent des enjeux de digitalisation importants. L’urbanisme en particulier. On observe très peu d’ingénieurs en informatique, de développeurs ou de personnes chargées du digital dans les agences d’urbanisme ou chez les aménageurs.
Mais de nombreuses initiatives poussent l’urbanisme et l’aménagement à changer. Les promoteurs immobiliers mettent plus d’innovations technologiques dans leurs projets, des éditeurs proposent des outils dédiés à ce marché, et de grandes entreprises informatiques partent à la conquête de l’urbanisme. Cette année on a vu Google lancer son projet Quayside, un quartier entier à Toronto, et Bill Gates a annoncé un projet similaire à Belmont en Arizona. Les data scientists viennent métamorphoser la façon de travailler des urbanistes et des architectes.
La formation s’adapte au marché de l’emploi, et on trouve désormais des formations autour des bâtiments connectés et de la ville intelligente. Comme de nombreux projets sont encore au stade expérimental, il n’est pas facile pour les écoles de savoir à quel métier ils doivent former leurs futurs diplômés. Mais une adaptation de la formation des concepteurs de nos villes doit bien être menée pour y intégrer plus d’enseignement du numérique.