Avec le vote de la loi énergie-climat par le Parlement et les parutions futures de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), la France est désormais pleinement engagée vers l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 mais comment notre pays compte-t-il arriver au zéro émission en divisant par au moins 6 ses émissions de gaz à effet de serre ? Laurent Michel, Directeur Général de la Direction Général de l’Energie et du Climat, était notre invité le 6 novembre pour échanger avec nous sur ce sujet.
Brice Lalonde, président de l’association, a ouvert cet atelier-débat en partageant le constat d’échec vis-à-vis des objectifs à atteindre pour limiter le réchauffement de la planète. Pour lui la priorité doit être claire : il faut lutter contre le changement climatique et que toutes les décisions et politiques mises en œuvre soient au service de celle-ci.
Il laisse la parole à notre invité du jour, Laurent Michel, qui souhaite faire un état des lieux des outils législatifs mis en place et disponibles pour limiter le changement climatique mais aussi pour s’y adapter car ses premières conséquences sont d’ores et déjà visibles.
Il fait état de 4 outils principaux que sont :
- La loi sur la transition énergétique de 2015
- La SNBC
- La PPE
- La loi Energie Climat en cours de finalisation qui intègre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 grâce à la fois à des réductions de consommation et d’émissions mais aussi par une compensation avec les puits de carbone.
Les principaux objectifs pour la France pour 2030 sont une réduction de la consommation en énergie finale de 20%, une augmentation de la part des énergies renouvelables de 33% et surtout une réduction de 40% des émissions de Gaz à effet de serre. Ce sont des objectifs qui vont être délicats à tenir car sur la réduction des émissions nous n’en sommes aujourd’hui qu’à -15%, Laurent Michel partageant le constat d’échec indéniable émis par Brice Lalonde en début d’atelier.
La neutralité carbone en ligne de mire
Il reste donc beaucoup de chemin à faire, chemin que se propose de définir plusieurs documents publiés récemment dont la deuxième version de la SNBC même si les objectifs pour la période 2019-2023 vont là encore être difficilement tenus. Elle met en avant 4 piliers principaux pour atteindre le grand objectif du gouvernement, la neutralité carbone à l’horizon 2050. Elle se base pour cela sur :
- une réduction de la moitié de la consommation en énergie primaire grâce à la fois à l’amélioration de l’efficacité énergétique et au développement de l’idée de sobriété énergétique,
- une décarbonation importante de l’énergie s’appuyant sur un vecteur électrique complètement décarboné et l’ajout de biomasse ainsi que de chaleur renouvelable dans le mix énergétique
- une réduction des émissions de gaz à effet de serre non liés à la consommation d’énergie comme l’agriculture ou encore de nombreux usages industriels (les HFC) ainsi que la réduction de l’empreinte carbone des produits (relocalisation, tarification carbone, bilan d’émission)
- une augmentation des puits de carbone principalement grâce aux forêts et marginalement avec le concours du développement de technologies de captage/stockage.
La PPE, également de cette année, se concentre elle sur le mix énergétique à obtenir pour parvenir à la neutralité carbone. Le principal objectif de cette programmation est une réduction importante des énergies carbonées (-80% pour le charbon, -35% pour le pétrole, -19% pour le gaz) et une baisse des consommations de 16% d’ici 2030.
Dans le bâtiment, ces objectifs se concrétisent par la nécessité de 2,5 millions de rénovations d’ici 2023 et une augmentation des performances énergétique des logements. Cela passera par de nouvelles incitations tels que le CITE transformé en prime ou encore le Prêt taux zéro et les certificats d’économie d’énergie (CEE). Les sanctions en cas de manquement aux obligations ne sont toutefois pas encore définies et devront l’être d’ici 2022-2023 selon Laurent Michel.
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Pour la mobilité qui reste très largement fossile, l’électrification est bien évidemment l’horizon à atteindre mais l’obligation de diminution d’émission des moteurs thermiques décidée au niveau européen permet une amélioration, même si la neutralité carbone dans ce secteur ne pourra se faire qu’en se transportant un peu moins et un peu mieux. Laurent Michel en profite pour rappeler le succès du plan vélo encourageant le développement de mobilités alternatives aux voitures individuelles pour les déplacements quotidiens.
Mix énergétique : la recherche de l’équilibre des énergies
Au niveau du mix énergétique, l’accent est notamment mis sur le développement de la chaleur renouvelable qui devrait augmenter de 40 à 60% d’ici 2028 grâce par exemple à l’augmentation du budget du fond chaleur de l’ADEME. Pour les autres secteurs le principal objectif concerne le photovoltaïque qui doit atteindre environ 50TWh d’ici 2028, l’éolien terrestre (34TWh) et l’éolien offshore qui est considéré comme une technologie d’avenir mais dont le développement est encore faible en France et les prix assez haut pour l’éolien flottant.
Sur la question du nucléaire, les options restent ouvertes pour le développement d’un nouveau parc. En effet, 14 fermetures de réacteurs sont prévues mais la construction de nouveaux doit faire l’objet d’un programme d’étude de faisabilité et financement d’ici 2021 pour étudier les différents scénarios de mix énergétique et définir les possibilités et besoins en énergie nucléaire.
Enfin, Laurent Michel se penche sur la question de l’hydrogène et énumère quelques secteurs où son utilisation pourrait être utile. Il fait état de 5 projets sélectionnés pour l’utilisation de l’hydrogène dans le secteur industriel avec une baisse attendue du prix de l’électrolyse pour la production d’hydrogène vert. Son utilisation pourrait être intéressante dans la mobilité lourde mais cela nécessite aussi un certain développement technologique et une période de tests. L’hydrogène pourrait également être utilisé pour améliorer la flexibilité d’un réseau incorporant de plus en plus d’énergie intermittente ou pour remplacer le gaz fossile. S’il reconnait son potentiel Laurent Michel tempère toutefois l’utilité de l’hydrogène à court terme.
Le mot du président
Pour clôturer cet atelier, notre président revient sur la grande question qui reste en suspens, celle de la raison de ce décalage important entre les objectifs et la réalité. Il pose également le problème du calcul en énergie primaire pour définir les objectifs d’économie d’énergie dans les bâtiments. C’est en effet une des raisons du « dérapage » de 22% des émissions de ce secteur en 2018 qui vont continuer à s’accroître inéluctablement si les politiques publiques continuent d’écarter l’usage de l’électricité.
Le problème des politiques publiques mises en œuvre ainsi que leur pilotage se pose et nécessite de réaffirmer la priorité essentielle de la lutte contre le changement climatique et d’utiliser tous les moyens possibles et disponibles.