Les travaux de préparation de la loi de programmation quinquennale sur l’énergie-climat (LPEC) vont en s’accélérant. Le Secrétariat général à la planification écologique a mis en circulation un ensemble de documents de travail décrivant les conditions qui permettront de réduire en 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 50 % par rapport à 1990 (figure 1). C’est la première fois qu’un travail d’analyse aussi détaillé est effectué, tout en gardant le souci de la cohérence globale et avec la préoccupation de déboucher sur des actions concrètes. Mais la route est longue et nous souhaitons partager avec nos lecteurs quelques réflexions.
Restons réalistes dans les objectifs
Le Gouvernement l’affirme : la France était en 2022 dans les clous du deuxième budget carbone (2019-2023) de la stratégie nationale bas carbone de 2020. En effet, la trajectoire de réduction de nos émissions se trouve en dessous du plafond moyen annuel de 422 Mt fixé jusqu’à fin 2023 (figure 2).
Ces résultats sont le fruit des efforts accomplis mais ils doivent aussi à la révision des objectifs intervenue en 2018 et à l’incidence de la crise de la Covid, de la guerre en Ukraine et des hivers cléments que nous avons connus. Les budgets à venir seront de plus en plus exigeants, d’autant plus que l’objectif 2030 sera revu à la baisse pour se conformer aux objectifs européens.
Les objectifs des stratégies énergie-climat évoluent souvent mais les réviser sans cesse n’apporte rien, s’ils demeurent inatteignables ou si l’adhésion de la population n’évolue pas en même temps. Il faut arrêter de les resserrer simplement pour marquer le volontarisme des politiques publiques. Les objectifs doivent être compatibles avec les possibilités techniques et économiques des acteurs et avec l’aptitude des populations à les comprendre et à y adhérer. Sinon, le fossé se creuse entre le monde aspirationnel des politiques publiques et la réalité du quotidien : au final, personne n’en sort gagnant.
La sécurité d’approvisionnement revient sur le devant de la scène
L’urgence climatique est toujours là et les événements climatiques violents de plus en plus fréquents en soulignent la prégnance. À cet impératif s’ajoute celui de la sécurité d’approvisionnement, érigée aujourd’hui en souveraineté énergétique. Les conséquences de la dépendance vis-à-vis du gaz russe nous rappellent les lendemains de la première crise pétrolière de 1973-1974. Le Gouvernement d’alors avait fixé un objectif de réduction de la dépendance énergétique de la France à 50 % et avait engagé un programme nucléaire massif pour l’atteindre. Depuis 1985, ce taux a peu varié1 et un nouvel objectif d’indépendance devrait être fixé pour les années à venir, à la condition qu’il soit réaliste et réellement représentatif de l’aptitude du pays à conserver la maîtrise de ses approvisionnements.2
La plupart des acteurs sont à présent convaincus du rôle primordial que doit jouer l’électricité dans l’évolution du bilan en énergie finale du pays. La production d’électricité doit suivre et les perspectives du bilan électrique à horizon 2035 dressées par RTE montrent qu’il faut redoubler d’efforts pour combler le retard accumulé, tant dans le domaine du nucléaire que dans celui des énergies renouvelables. Dans l’immédiat, la seule façon de pallier les insuffisances éventuelles de production est de développer les flexibilités qu’offre l’électricité dans les domaines du bâtiment et du transport, en utilisant les possibilités du numérique et en développant les capacités de stockage.
Au niveau européen, la sécurité de l’approvisionnement énergétique est explicitement visée à l’article 194 du traité de l’Union européenne. Ces dernières années, la Commission européenne s’en était peu préoccupée, préférant donner la priorité aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables. La guerre en Ukraine a fait évoluer les esprits, le règlement REPowerEU en marque l’évolution mais de façon encore trop hésitante. L’électricité d’origine nucléaire reste regardée avec méfiance, sous l’influence de certains États qui estiment pouvoir s’en passer. Or la décarbonation des énergies finales ne doit pas conduire à créer de nouvelles situations de dépendance pour l’approvisionnement en nouveaux vecteurs énergétiques, fussent-ils décarbonés, tels que l’hydrogène ou les carburants durables pour l’aviation ou le maritime. C’est un point de vigilance auquel la France doit veiller.
La compétitivité de l’économie
La transition énergétique, c’est-à-dire la sortie des énergies fossiles qui ont assuré pendant 200 ans la prospérité des nations, ne peut pas se faire en 30 ans sans un gigantesque effort de développement et d’investissement. N’en déplaise aux adeptes de la décroissance qui n’ont pas connu les années d’après-guerre où la France manquait de tout, l’économie doit créer davantage de valeur pour financer la transition énergétique. L’une des conditions essentielles est que les acteurs aient confiance en l’avenir et puissent prendre des décisions d’investissement dans un cadre relativement stable. Les errements qu’ont connus les prix de l’électricité et du gaz au cours des deux dernières années (figures 3 et 4) n’appartiennent pas encore au passé. Le Gouvernement a pris la décision politique de protéger au maximum les consommateurs domestiques, avec des systèmes de bouclier tarifaire et d’aide à la pompe alors que l’industrie était frappée de plein fouet par la hausse des prix de l’énergie. Tous les États n’ont pas suivi la même démarche. Pour l’avenir, la relocalisation de l’industrie et le développement de nouvelles activités ne pourront bénéficier au territoire national que si nos industries bénéficient de conditions stables et compétitives d’approvisionnement en énergie. L’avenir des négociations sur la réforme du market design de l’électricité en Europe est à cet égard primordial.
Par ailleurs, l’autonomie industrielle dans le domaine de l’énergie est un facteur majeur de souveraineté énergétique. La transition vers les énergies décarbonées est une révolution schumpétérienne qui peut être fortement destructrice d’emplois et créatrice de nouvelles dépendances si l’industrie ne prend pas suffisamment tôt le virage des nouvelles énergies. La relance du nucléaire, le développement d’une industrie nationale des batteries, le changement d’échelle de notre industrie des pompes à chaleur sont autant de priorités qui doivent être traitées en parallèle à la définition des orientations énergétiques pour les années à venir. Le syndrome des panneaux photovoltaïques est devenu un cas d’école et il faut veiller, en ouvrant de nouveaux marchés, à ce que notre industrie soit en mesure d’y répondre.
Le financement des investissements
La transition écologique nécessite un effort considérable de financement. L’économiste Jean Pisani-Ferry a publié le 22 mai 2023, avec Selma Mahfouz, un rapport sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat »3.
Une première conclusion de ce rapport est que la neutralité climatique est « atteignable », mais « y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé ».
Le rapport évalue à 67 milliards d’euros le montant des investissements additionnels nets requis pour atteindre le seul objectif 2030, par rapport à un scénario tendanciel sans verdissement de l’économie. Ces évaluations nous semblent sous-estimées mais elles constituent un point de repère utile et posent clairement le problème du financement de la transition écologique. Jean Pisani-Ferry pense pouvoir le résoudre par l’institution d’une taxe sur les plus hauts patrimoines et par le recours à l’endettement.
En fait, ces deux voies sont des impasses, compte tenu du taux exceptionnellement élevé des prélèvements obligatoires en France et du niveau d’endettement déjà atteint. Deux voies restent à explorer :
- le financement par les entreprises, ce qui suppose qu’un climat de confiance propre à l’investissement soit durablement établi ;
- une réorientation de l’épargne des ménages, qui représente à ce jour, selon la Banque de France, 5 785 milliards d’euros en placements financiers divers, avec un flux annuel de + 158,7 milliards en 20224.
L’État doit jouer son rôle en incitant cette épargne à s’orienter vers les actions les plus efficaces.
Dans cet esprit, nous souhaitons appeler l’attention sur certains points qui nous semblent importants.
La stratégie énergie-climat dans le secteur du bâtiment
La remise à niveau du parc de logements est en France une priorité, tant son patrimoine immobilier est de médiocre qualité comparé à celui d’autres pays européens. Beaucoup a été fait mais trop reste à faire.
Certaines mesures à prendre ne sont que des ajustements réglementaires permettant d’accélérer la transition énergétique. Tel est le cas du coefficient de conversion en énergie primaire qui continue à pénaliser dans le bâtiment l’usage de l’électricité que l’on dit pourtant vouloir encourager. Tel est le cas également des échelles des émissions en CO2 de la RE2020 comme du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui ne jouent pas, pour l’instant, un rôle incitatif significatif en direction des énergies les moins carbonées.
Plus fondamentale est la question de la stratégie de rénovation. La rénovation globale ou performante est, dans l’absolu, souhaitable mais elle est hors de portée dans la majorité des cas avec des investissements par logement allant de 40 000 à 80 000 euros. Le mieux est l’ennemi du bien et l’efficacité doit être préférée à la perfection : avec des dépenses réduites de moitié, il est souvent possible d’atteindre 80 % des résultats.
Les récentes annonces ministérielles tendent à distinguer dans le fonctionnement de MaPrimeRénov’ deux piliers :
- un premier, intitulé « efficacité », se concentre sur les mono-gestes d’installation de systèmes de chauffage décarbonés (pompes à chaleur et biomasse notamment) ;
- un second, intitulé « performance », vise à la massification des rénovations globales.
Le premier type d’action pose le problème de son harmonisation avec les certificats d’économie d’énergie et sans doute faudra-t-il envisager à terme une fusion des deux mécanismes.
Le deuxième suppose que l’on définisse un cheminement de rénovation par étapes qui devrait pouvoir être balisé par les échelles du DPE. Pour éviter la fraude et accroître son efficacité, un tel cheminement pourrait être accompagné d’un audit avant travaux et d’un audit simplifié après, qui se substitueraient à l’intervention de l’accompagnateur MaPrimeRénov’. Dans les copropriétés, où les décisions sont très difficiles à prendre, le montant des fonds travaux et les conditions de leur utilisation pourraient être revus, avec le cas échéant un système de bonification des fonds épargnés.
Dans les deux cas, les pompes à chaleur, air/eau ou air/air, sont au coeur du dispositif. Elles pourraient équiper 10 millions de logements dès 2030 et quelque 60 % du parc en 2050. Une étude réalisée par EDF montre que les inquiétudes formulées par certains quant à l’incidence sur le réseau électrique du déploiement massif des pompes à chaleur peuvent être apaisées, compte tenu des performances des PAC actuelles, même par grand froid, et de la réserve de flexibilité qu’elles peuvent offrir. En outre, un créneau de marché de 500 000 à un million de logements individuels peut être dédié aux pompes hybrides, à la condition qu’elles offrent un taux de couverture de 70 %, et mieux de 80 %, sur l’ensemble des besoins chauffage + eau chaude sanitaire.
Bien évidemment, ce déploiement de la PAC ne peut se faire sans que simultanément soient progressivement mises en extinction les chaudières à combustible fossile. Le problème est technique, économique et aussi social : ce sera l’un des enjeux de la future programmation que de définir un échéancier acceptable et cohérent avec les objectifs visés.
Lire aussi : Notre étude : Dix millions de logements chauffés par pompe à chaleur en 2030
La stratégie énergie-climat dans le domaine des transports
La migration vers la mobilité électrique est bien engagée puisque plus de 20 % des véhicules neufs sont à présent électrifiés mais le parc de véhicules électriques particuliers reste encore marginal (moins de 2 %) et assez largement constitué de catégories d’utilisateurs aisément atteignables : second véhicule, pavillon en banlieue ou maison en zone rurale disposant d’une borne de recharge, etc. Certains segments du marché, comme les catégories sociales les moins favorisées, les flottes de véhicules et les locations courte durée qui alimentent le marché de l’occasion, sont en retard. Le soutien à l’achat de véhicules électriques, neufs ou d’occasion, reste donc nécessaire.
Par ailleurs, le problème des bornes de recharge n’est pas encore résolu, dans les logements collectifs et le long des voies rapides. La réussite du véhicule électrique dépend de sa capacité à rendre un service sensiblement équivalent aux motorisations thermiques. Si dans le cas des trajets du quotidien, le contrat est proche d’être rempli, des inquiétudes sur les trajets sur autoroute subsistent, lors des périodes de grand départ notamment. Le premier plan d’équipement porte des résultats visibles mais l’apparition de phénomènes de saturation des bornes est probable dès 2025 et Équilibre des Énergies souligne la nécessité d’élaborer un schéma directeur d’équipement en infrastructures de recharge des autoroutes, jusqu’à l’échéance 2035, mobilisant l’ensemble des parties prenantes.
Le cas des transports des marchandises doit être également une autre priorité de la prochaine stratégie énergie- climat. L’électrification monte en gamme vers les plus gros véhicules mais le cas des grands poids lourds opérant sur de très longues distances nécessite encore des arbitrages.
Enfin dans le secteur du transport aérien, si la stratégie de décarbonation est à présent claire, sa mise en oeuvre reste incertaine, notamment en ce qui concerne le déploiement en France d’un écosystème des carburants durables pour aviation. Équilibre des Énergies plaide pour la prise en compte dans la stratégie énergie-climat des ressources en carbone non fossile et en électricité qui sont nécessaires et pour la mise en place d’un système incitatif, s’inspirant de ceux qui ont permis le développement des énergies renouvelables afin d’éviter que le secteur aérien français ne se trouve dépendant d’importations massives de biocarburants.
La question de la juste évaluation des ressources en biomasse – y compris des puits de carbone – et de la priorisation de ses usages est essentielle : on ne peut plus se contenter d’estimations en ressources et en prix aussi disparates que celles que l’on connait aujourd’hui. La biomasse est appelée à jouer un rôle central dans un monde décarboné mais il faut en connaître le potentiel et les limites.
La stratégie énergie-climat dans les systèmes énergétiques
Hormis l’indispensable renforcement des moyens de production, ce sont les actions visant à développer la flexibilité du système électrique qui doivent retenir l’attention. Des possibilités existent, à tous les niveaux du système. Les études de RTE ont permis de les identifier, il faut à présent les révéler par une tarification appropriée, davantage axée sur la puissance appelée et encourager leur développement, qu’il s’agisse de régulation avancée ou de pilotage, par leur prise en compte dans les réglementations (RE2020 et DPE notamment) et dans les mécanismes de soutien.
Enfin, le captage, le stockage et la réutilisation du CO2 ne doivent plus être considérés comme une option de dernier recours mais comme des moyens de compenser les émissions résiduelles de certains procédés industriels et, ce faisant, de participer à la construction de l’écosystème des carburants de synthèse.
- Sous réserve des résultats à venir pour l’année 2022.
- Sur cette question, le lecteur pourra se reporter au rapport de la Commission d’enquête parlementaire visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France (2023).
- Téléchargeable en ligne. Une analyse de ce rapport par Etienne Beeker est disponible sur le site internet d’Équilibre des Énergies.
- Voir les statistiques de la Banque de France.