On l’attendait depuis de nombreux mois et il a fallu une loi (la loi Energie-Climat du 8 novembre 2019) pour lui permettre de voir le jour : la PPE nouvelle est arrivée. EdEn en a pris connaissance avec intérêt, salue l’énorme travail effectué et s’associe aux grandes orientations qui la sous-tendent. Elle tient cependant à formuler les recommandations et suggestions qui suivent.
Mieux clarifier les objectifs
La PPE évoque de nombreux objectifs qui sont censés être atteints concurremment : neutralité carbone, amélioration de l’efficacité énergétique, baisse des consommations d’énergie fossile, développement des énergies renouvelables, développement de l’hydrogène…
Cette multiplicité des objectifs nuit à la lisibilité et à l’efficacité des politiques. La PPE devrait plus clairement reconnaître que la neutralité carbone est l’objectif fondamental autour duquel toute la politique doit s’articuler et être mise en cohérence. Cet objectif doit s’imposer dans toutes les réglementations et dispositions financières en vigueur, de façon à éliminer toutes les incohérences qui subsistent et s’opposent encore à la migration vers des solutions décarbonées.
Ne pas tomber dans la procrastination
La France a pris du retard par rapport à la réalisation des objectifs fixés par la PPE précédente. Les Pouvoirs publics entendent rattraper ce retard en fixant des objectifs de plus en plus ambitieux au fur et à mesure que leur horizon s’éloigne. EdEn s’inquiète de cette vision car chacun sait que les difficultés croissent après que les mesures les plus faciles à prendre ont été prises. Elle estime que, sur plusieurs points, une politique plus forte devrait être engagée dès à présent, sans attendre des auspices plus favorables à un horizon plus éloigné.
Lancer la « deuxième révolution électrique »
Le développement des usages de l’électricité est incontournable pour atteindre les objectifs de décarbonation visés à l’horizon 2050. Les travaux préparatoires à la PPE ont montré que la part de l’électricité dans le bilan des consommations finales d’énergie devrait passer de 25 % aujourd’hui à plus de 50 % en 2050.
Il n’est pas acquis que les 50 % non couverts par l’électricité pourront être couverts par des formes d’énergie finale décarbonées qu’EdEn souhaite promouvoir : bois, déchets renouvelables, réseaux de chaleur décarbonés, solaire thermique, gaz renouvelable, hydrogène, géothermie… car si les solutions sont nombreuses, chacune se heurte à des difficultés techniques et économiques ou à la limitation des ressources accessibles.
Il n’est pas davantage acquis que l’électricité puisse voir sa part doubler en 30 ans alors que sa contribution à la satisfaction des besoins énergétiques stagne en France aux environs de 25 %.
La PPE ne reconnaît pas suffisamment qu’une telle évolution, correspond à un scénario de rupture, à une deuxième révolution électrique qui doit être préparée, expliquée et soutenue. Cela suppose une action claire des Pouvoirs publics dans trois directions :
- une communication acceptant de faire de l’électrification de la société, comme ce fut le cas jadis, une priorité de la politique énergétique ;
- la levée des nombreux obstacles réglementaires qui se sont accumulés au cours des 15 dernières années et qui sont autant de mesures discriminatoires aux dépens de l’électricité. Nous en citerons trois :
- l’usage abusif du concept d’énergie primaire et du coefficient de conversion de l’électricité, dans la réglementation des bâtiments, qui freine l’électrification et va à l’encontre des objectifs de décarbonation recherchés ;
- la fiscalité défavorable à l’électricité qui atteint, selon la CRE [1] sur le marché domestique, 37 % pour l’électricité contre 27 % pour le gaz ;
- l’inégalité de traitement entre l’électricité et le gaz dans le système des certificats d’économie d’énergie (CEE) qui fait que les fournisseurs d’électricité sont tenus de faire réaliser des économies d’énergie d’une ampleur de 66 % supérieure à celle incombant aux fournisseurs de gaz.
- Le développement des actions de recherche-développement en faveur de l’usage de l’électricité (pompes à chaleur adaptées aux logements collectifs et aux hautes températures dans l’industrie, etc.).
Réduire en priorité les consommations d’énergie fossile
La réduction des consommations d’énergie doit s’exercer en priorité en direction des énergies fossiles génératrices d’émissions de CO2.
- L’énergie est indispensable à l’activité économique et au bien-être de chacun et la priorité doit être la réduction des émissions de CO2. EdEn accueille avec intérêt l’idée contenue dans le Pacte vert pour l’Europe d’étendre aux secteurs diffus le système des quotas de l’EU-ETS. il lui semble qu’il y a là une façon constructive de faire évoluer le système des certificats d’économie d’énergie car L’EU-ETS a le gros avantage de ne viser que les émissions de GES dont la réduction jusqu’à zéro est l’objectif prioritaire.
- La référence à l’énergie primaire comme critère de réduction des consommations d’énergie doit être abandonnée. La notion d’énergie primaire n’est qu’un indicateur statistique, né au temps des énergies fossiles et fondé sur l’agrégation entre elles des différentes formes d’énergie moyennant des coefficients de pondération très largement arbitraires qui, en France, défavorisent l’électricité décarbonée. Seule l’énergie consommée, c’est-à-dire l’énergie finale, livrée et facturée à l’usager, doit désormais intervenir dans les bilans énergétiques et dans la réglementation.
Dans le bâtiment : la REC 2020 plutôt que la RE 2020 et avec une trajectoire carbone
La nouvelle réglementation des bâtiments neufs doit être finalisée rapidement. EdEn propose de l’appeler REC 2020, Réglementation Energie-Climat 2020, afin d’être en harmonie avec la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
Il est indispensable que cette réglementation comporte des dispositions prescriptives relatives aux émissions de CO2 des bâtiments en exploitation. A l’instar de l’approche adoptée pour les émissions des voitures particulières au niveau européen, EdEn propose que cette réglementation comporte une trajectoire de réduction des émissions de CO2 des bâtiments neufs. Cette trajectoire devrait fixer un plafond au plus égal à 8 kg de CO2/m2.an dès la publication de la réglementation, plafond abaissé à 5 kg en 2025 et, à titre indicatif, à 3 kg en 2030.
Cette approche par trajectoire de progrès pourra ensuite être étendue aux bâtiments existants.
S’agissant des consommations d’énergie, EdEn réitère son souhait que la norme soit exprimée en énergie finale. S’il apparaissait qu’à titre transitoire, le maintien du recours à l’énergie primaire était nécessaire, le coefficient par défaut de 2,1 proposé par la réglementation européenne devrait être retenu.
Dans les transports, lever les obstacles à la mobilité électrique
Dans le domaine des transports, EdEn soutient les orientations prises en faveur de la mobilité électrique dans la PPE. Cependant, EdEn appelle l’attention sur le fait que des freins très importants continuent à retarder son développement.
L’équipement du pays en bornes de recharge accessibles au public doit être considéré comme un grand programme national, piloté par les pouvoirs publics et les régions. La loi d’orientation des mobilités offre la possibilité d’élaborer des schémas directeurs d’implantation des infrastructures de recharge dont l’élaboration doit être engagée sans tarder.
Lire aussi : 21 mesures pour atteindre 5,2 millions de véhicules électriques en 2030
Développer l’hydrogène de façon ciblée
L’hydrogène sera nécessaire à la décarbonation de notre économie. Cependant son équation économique et technique reste difficile à équilibrer. Le recours à l’hydrogène doit être soutenu dans les secteurs où son usage paraît le plus approprié (industrie, mobilité lourde).
Rééquilibrer puissance et énergie
La deuxième révolution électrique peut s’appuyer sur la révolution du numérique et sur toutes les techniques qui l’accompagnent. Mais elle doit aussi intégrer une autre problématique : celle d’une énergie à coût marginal faible, dans laquelle la notion de prix du kWh a de moins en moins de sens et où la puissance souscrite à la consommation et la puissance garantie à la production doivent être tarifées ou rémunérées à la hauteur de leur juste valeur économique.
L’élaboration du TURPE 6 régissant les tarifs d’accès aux réseaux électriques représente à cet égard une échéance essentielle et EdEn appelle à davantage d’attention sur les enjeux qui s’y attachent.
[1] Rapport d’activité de la CRE 2018 – Page 15