Il y a cinq ans, votre région a engagé sa transformation pour devenir la première région à énergie positive. Qu’est-ce qu’une région à énergie positive et pourquoi ce choix ?
Carole Delga : Le défi du changement climatique est probablement le plus grand auquel doit faire face notre société car il impacte directement nos vies. Chacun doit se sentir concerné et les régions ont un rôle important à jouer, car c’est clairement le bon échelon pour agir. Fort de ce constat, j’ai engagé, dès mon arrivée à la tête de la Région Occitanie en 2016, l’ambition de devenir une région à énergie positive. Nous avons fait travailler un panel de 100 experts et nous nous sommes concertés avec les citoyens, nos partenaires institutionnels, les territoires, afin d’établir une trajectoire qui nous conduira effectivement en 2050 à équilibrer les besoins énergétiques de la Région Occitanie avec les productions locales d’énergie renouvelable. Pour atteindre cette ambition, il faudra diviser par deux les consommations énergétiques et multiplier par trois la production d’énergie renouvelable.
La stratégie « Région à Énergie Positive » (RéPOS) vise à développer toutes les énergies renouvelables : le solaire photovoltaïque ou thermique, l’éolien terrestre ou offshore, l’hydroélectricité, le bois énergie, la méthanisation, la géothermie. Chacune de ces sources d’énergie présente un potentiel de développement qu’il faut organiser dans une démarche d’association des territoires, en lien en particulier avec les Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Nous souhaitons encourager les projets du terrain avec une démarche la plus intégratrice et la plus citoyenne possible.
Nous voulons également agir pour diminuer les consommations, avec un accent particulier sur les gros postes de consommation que sont les transports et le résidentiel.
Quel premier bilan pouvez-vous en tirer ?
Cela commence réellement à payer, les chiffres le prouvent. Et je veux clairement accélérer. Nous avons revu tout notre dispositif d’accompagnement, en étroit lien avec l’ADEME, pour promouvoir sur l’ensemble du territoire l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Bien entendu, l’ambition de la Région s’est traduite par un engagement financier important : en 2020, plus de 35 millions d’euros ont été mobilisés pour soutenir des projets d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable.
Nous avons également créé l’Agence régionale énergie climat (AREC) Occitanie, agence au service de la transition énergétique des territoires. Elle a une activité de société publique locale qui lui permet de proposer des prestations d’ingénierie auprès de ses actionnaires, notamment les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), responsables des PCAET. Elle a également une composante société d’économie mixte qui a vocation à intervenir en capital dans des sociétés de production d’énergie renouvelable, des activités d’innovation, ainsi que dans l’efficacité énergétique des entreprises.
Aujourd’hui, l’AREC est au capital de 55 MW de production d’énergie renouvelable sur le territoire.
Quels sont vos axes de progression pour les prochaines années ?
De nouvelles filières sont en émergence, comme l’éolien flottant ou l’hydrogène, nous y travaillons avec Agnès Langevine, vice-présidente en charge de la transition écologique. La Région soutient ces filières émergentes dans une perspective de création d’emplois et de nouvelles filières industrielles. L’hydrogène offre de nouvelles perspectives pour la réduction des émissions de GES et pour une nouvelle industrie innovante et compétitive. Le challenge de l’avion vert est un défi que la Région souhaite relever aux côtés des industriels.
Nous avons également décidé d’amplifier notre action pour soutenir la réduction des consommations d’énergie. Il faudra atteindre 52 000 rénovations de logements par an jusqu’à 2030, puis 75 000 ensuite, c’est une véritable massification à laquelle nous devons parvenir.
Les secteurs de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables regorgent de nouvelles filières innovantes et d’emplois non délocalisables. Par des aides directes et un accompagnement aux formations de ces nouveaux métiers, nous soutenons la création d’emplois pérennes sur l’ensemble de notre territoire. C’est un véritable levier de croissance que nous voulons activer.
Comment votre région s’associe- t-elle à la promotion de la rénovation énergétique des logements ? Pensez-vous aller plus loin pour accompagner les Français dans le bon choix des gestes de rénovation ?
La rénovation énergétique des logements est l’un des axes de travail prioritaires pour la Région. Le secteur résidentiel est responsable de 38 % des consommations énergétiques finales en Occitanie. La Région était déjà active avec l’écochèque logement, qui a permis sur la période 2016-2020 d’accompagner 58 000 ménages modestes dans leurs travaux de rénovation énergétique des logements. Aujourd’hui, face à la nécessité d’une massification et d’une simplification pour les usagers, la Région a déployé Rénov’Occitanie. Ce service public intégré de la rénovation énergétique des logements vise à accompagner tous les ménages dans leur parcours de rénovation énergétique. Rénov’Occitanie s’appuie sur un réseau de 32 guichets uniques qui couvrent l’intégralité de notre territoire et qui permettront de simplifier le parcours de rénovation engagée par les citoyens.
La Région Occitanie souhaite intégrer les citoyens dans la prise de décision. Comment cela se traduit-il concrètement ? Des programmes construits par les citoyens ont-ils émergé ?
Oui, car la Région Occitanie est une région écologiste et citoyenne. Nous avons organisé l’année dernière une Convention citoyenne d’Occitanie avec 100 citoyens tirés au sort, la première convention de ce type à l’échelon régional. Ils ont travaillé à une série de propositions sur différentes thématiques dans le cadre de l’élaboration du Pacte vert régional. La Région a souhaité approfondir les travaux de la Convention citoyenne d’Occitanie en ouvrant la concertation à tous les habitants pour les interroger sur leurs priorités.
Sur le domaine de la transition énergétique et de manière tout à fait opérationnelle, la Région accompagne les territoires et les citoyens, pour les rendre acteurs de la transition énergétique. Nous avons recours aux budgets participatifs et encourageons également les énergies renouvelables coopératives et citoyennes dans le cadre d’un appel à projets qui existe depuis plusieurs années. Il a permis d’accompagner plus de 50 collectifs citoyens ayant développé des projets d’énergie renouvelable sur leur territoire. La Région aide les études préalables et apporte un euro supplémentaire pour chaque euro citoyen collecté dans ces sociétés de projets. Aujourd’hui, plus de 3 000 citoyens sont impliqués dans des projets d’énergies renouvelables soutenus par la Région.
Devenir la première région à énergie positive est plus qu’une ambition, c’est un projet pour notre région, afin d’améliorer la qualité de vie, créer de l’activité et de l’emploi, et donner toute sa place à l’initiative citoyenne
Au mois de février 2021, le conseil national de l’hydrogène a tenu sa première réunion à Albi. Quelles solutions « hydrogène » vous semblent particulièrement adaptées à votre région et quelles initiatives menez-vous pour les encourager?
Absolument, je siège d’ailleurs au Conseil national de l’hydrogène en tant que représentante de Régions de France. C’est une dynamique que nous avons initiée en Occitanie depuis presque deux ans en s’appuyant sur les atouts technologiques et industriels de notre territoire. La Région Occitanie a été la première région française à se doter d’un plan hydrogène de 150 M€. Nous souhaitons intervenir sur toute la chaîne : la production, la distribution et les usages de ce vecteur énergétique d’avenir. Il pourra notamment répondre à la nécessité de décarboner le secteur des transports mais également au défi du stockage des énergies intermittentes. Cette stratégie associe bien évidemment les territoires où nous voulons développer des écosystèmes hydrogène. De très grands projets de production sont d’ores et déjà en cours. Nous envisageons l’acquisition de rames TER à hydrogène, nous accompagnons les agglomérations qui souhaitent s’équiper de bus fonctionnant à l’hydrogène. Nous étudions également l’utilisation de ce vecteur énergétique pour les usages de transport maritime ou fluvial. Enfin, nous portons le projet Corridor H2 visant à la décarbonation du transport lourd sur l’axe européen allant de la Méditerranée à la mer du Nord et pour lequel nous avons obtenu un prêt de la BEI de 40 millions d’euros.
La Région Occitanie a largement fondé sa politique de décarbonation sur le rail. Quels avantages en attendez-vous ?
Je suis convaincue qu’une politique ferroviaire ambitieuse est un vecteur majeur pour un nouveau modèle de développement. La Région entend maintenir sa logique de pérennisation et de développement du réseau ferroviaire, et la conquête de nouveaux usagers.
D’abord un avantage écologique : le secteur des transports représente 39 % de la consommation énergétique régionale, avec une part prépondérante des produits pétroliers. La Région s’est engagée pour une décarbonation du secteur des transports, en soutenant fortement le développement du rail.
Un avantage social d’autre part : les adaptations d’offre du service mises en oeuvre pour améliorer la performance du système de production produisent pleinement leurs effets en termes d’attractivité et de qualité de service Nous allons par exemple encourager les jeunes à utiliser le train en expérimentant, dès ce printemps, la gratuité pour 2 000 jeunes de 18 à 26 ans. Si cette expérimentation est concluante, nous la généraliserons.
Enfin, un avantage économique : en Occitanie, l’industrie ferroviaire compte environ 7 000 emplois et 70 entreprises. Elle se caractérise par la présence de trois grands constructeurs européens (Alstom, Siemens, CAF), d’équipementiers et de sous-traitants actifs, tant sur l’infrastructure que sur le matériel roulant. La filière est fortement dépendante des programmes d’investissements régionaux et nationaux.
Mobilité toujours, la Région Occitanie est historiquement liée au secteur aérien. Les grandes entreprises et Airbus en particulier travaillent à présent sur la décarbonation du transport aérien. Au niveau de la région, avez-vous initié des projets particuliers tels que des aéroports zéro carbone ?
Nous aurons toujours besoin d’avions. Des avions plus verts, plus légers, électriques et demain certainement hybrides. La France doit être chef de file sur ce sujet. Nous devons faire preuve d’un fort volontarisme politique, en dédiant notamment de nouveaux moyens pour la recherche et le développement. La Région est aux côtés des entreprises du territoire et soutient les projets innovants. Miser sur cette industrie de pointe permettra de créer de nombreux emplois et de maintenir les compétences clés au coeur de nos territoires.
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Je souhaite positionner l’Occitanie comme la région leader en Europe de l’aviation légère décarbonée. Les avions de petite capacité, destinés à des trajets courts, sont bien placés pour intégrer des nouvelles technologies à moyen terme qui pourront pour certaines être ensuite adaptées pour les avions de plus grande capacité. La Région, en partenariat avec le pôle Aerospace Valley, a lancé début 2021 un AMI pour le développement de démonstrateurs d’avion vert dans l’aviation légère. Ces travaux permettront donc d’accélérer l’émergence de l’avion vert, en complémentarité avec ceux réalisés par le CORAC et CLEANSKY, futur programme européen vers l’aviation verte commerciale. Nous y consacrerons un budget de 10 M€.
Nous soutenons également le projet Hyport qui assure le financement, la réalisation et l’exploitation des infrastructures d’hydrogène renouvelable. L’objectif est de développer la production, la distribution et l’utilisation d’hydrogène vert dans les écosystèmes aéroportuaires. En commençant par l’aéroport Toulouse-Blagnac, l’ambition consiste ensuite à essaimer cet écosystème dans les autres aéroports de la région dont celui de Tarbes Lourdes Pyrénées en 2022. Le projet toulousain d’HyPort est porté par ENGIE Solutions (51 % du capital) et par l’AREC (49 %). HyPort a reçu les soutiens de la Région Occitanie, de l’ADEME et de l’Europe à travers le programme JIVE2, nécessaire afin de rendre les solutions hydrogène compétitives pour les usagers, au regard des solutions thermiques ou carbonées classiques.
À l’automne 2020, la Région a lancé le programme Flexitanie afin de déployer des bornes de recharge intelligentes. Ce programme s’intègre dans la région à énergie positive, où en êtes-vous ?
Le projet Flexitanie lève de nombreux freins au déploiement de flottes de véhicules électriques et contribue fortement aux efforts d’innovations en faveur de la transition énergétique développés par la Région Occitanie. C’est une réponse concrète à notre ambition d’être la première région à énergie positive d’Europe où la mobilité électrique est repensée pour mieux intégrer les énergies renouvelables.
Il était important pour nous de participer à une telle expérimentation, et d’avoir ainsi une longueur d’avance pour le tissu industriel local (entreprises participantes, installateurs locaux des bornes de recharge). Ce projet contribue au développement d’une filière innovante française à forte valeur ajoutée dans le secteur de la mobilité électrique. Cette opération s’inscrit donc bien dans la ligne du Pacte vert régional.
Madame la Présidente, nous arrivons au terme de nos échanges, que souhaiteriez- vous dire aux lecteurs d’EdEnmag en titre de conclusion ?
Que l’Occitanie a clairement engagé son territoire, ses habitants et ses activités dans un plan de transformation et de développement du modèle de société, plus juste, plus écologique. Elle le fait avec une idée force : l’écologie pour tous et non pour quelques uns. Le Pacte vert adopté en novembre dernier renforce cet objectif de transition, avec méthode : l’écoute et la concertation citoyenne. Car je ne crois pas sur ce plan, comme sur d’autres, à la radicalité des postures, mais plus à des actes concrets. D’autant que la crise sanitaire que nous traversons souligne que les difficultés de notre époque sont interconnectées et nécessitent une action globale, une approche transversale ou systémique. Pour changer de modèle, le citoyen est la solution, pas le problème.
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Entretien réalisé par François Moutot