Lancé le 19 mars et se déroulant jusqu’à fin juin, le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie – PPE – est l’occasion pour tous de s’exprimer sur le futur énergétique de la France. A l’instar d’autres acteurs institutionnels, économiques ou associatifs, EdEn entend participer à la co-construction du futur énergétique de notre pays. Cette fois, c’est le Président Brice Lalonde qui prend la plume pour un Point de vue. Partant du constat : qu’à courir trop de lièvres, la politique française de l’énergie « risque de n’en capturer aucun », le Président d’EdEn a développé les actions à engager, secteur par secteur, pour décarboner efficacement notre économie.
La politique de l’énergie
La politique française de l’énergie, courant trop de lièvres, risque de n’en capturer aucun. Les différents objectifs de la loi sur la transition énergétique, s’ils sont poursuivis sans désemparer, finissent par se contrecarrer. Il faut donc s’accorder sur la priorité et mettre les objectifs secondaires au service du principal.
Considérant la gravité de la menace, l’objectif premier doit être la lutte contre le changement climatique, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le principal de ces gaz est le CO2, déchet de combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel fossiles, qui va stagner dans l’atmosphère pendant des siècles. Il faut donc diminuer la consommation des combustibles fossiles à coût raisonnable, sans compromettre la croissance, en favorisant l’indépendance énergétique et le bien-être des Français.
L’accroissement de la production d’origine renouvelable, la réduction de la consommation d’énergie primaire ou finale, la diminution de l’électricité nucléaire sont des objectifs secondaires qui doivent contribuer au succès de l’objectif premier : la neutralité carbone.
Lire aussi : EdEn présente son cahier d’acteur PPE : remettre la transition énergétique dans la bonne voie
La consommation de pétrole
On confond souvent l’énergie avec l’électricité qui ne représente pourtant que 25 % de la consommation finale d’énergie en France, loin derrière le pétrole, première source d’émission de CO2. Réduire la consommation de pétrole est donc impératif. C’est l’objet de la politique de la mobilité d’une part, de réduction de la consommation d’énergie des bâtiments d’autre part.
La Mobilité
Dans le domaine de la mobilité, il faut mener de concert la promotion d’une mobilité choisie et contenue (urbanisme, téléconférences), la diminution des vitesses, l’offre de transports alternatifs (transports collectifs, vélos électriques, covoiturage et partage, véhicules connectés, etc.), l’efficacité des véhicules thermiques (2 l/100 km, ce qui implique des véhicules légers), la diffusion des véhicules électriques à batteries et celle des véhicules mus par une pile à combustible alimentée à l’hydrogène. D’autres modes de propulsion peuvent être testés (air comprimé). Chacune des options mériterait de longs développements car l’infrastructure et les chaînes de valeur devront évoluer au même rythme, par exemple les stations de recharge, la seconde vie (pour le stockage à demeure de l’électricité) et le recyclage des batteries, les rues et routes intelligentes adaptées aux véhicules autonomes.
Les recettes des péages urbains doivent être affectées à l’amélioration de la mobilité urbaine. Des parcs de stationnement modernes (avec magasins, prises de courant, parkings à vélo, etc.) devront être établis aux entrées de ville près des stations de transport collectifs.
Les transports aériens et maritimes soulèvent d’autres problèmes. Les avions ont encore besoin de kérosène mais le ciel unique européen, le roulage électrique, l’allègement des avions, les plans de vol économes améliorent leurs performances. Quant aux bateaux, réduire leur vitesse diminue considérablement leurs émissions. La propulsion électrique est à l’horizon et l’hydrogène peut être une bonne solution.
Lire aussi : EdEn présente son cahier d’acteur Mobilité – 4 millions de véhicules électriques en 2028 : Pourquoi et comment ?
Le Bâtiment
Dans le bâtiment, les classiques chaudières brûlant fioul et gaz (et par priorité les 4 millions de chaudières à mazout) devront être suppléées par des pompes à chaleur hybrides de dernière génération. La rénovation énergétique des bâtiments devra être mise en œuvre à l’échelon des agglomérations avec l’aide des professionnels groupés dans le Plan bâtiment durable. Force est de constater que personne ne s’y retrouve dans les dispositifs d’aide proposés par l’Etat. L’isolation des combles est indispensable à l’efficacité du chauffage. La ventilation par double flux devrait être développée. Eventuellement le double vitrage des fenêtres. Sauf exception, le reste n’est pas vraiment nécessaire. Une isolation trop poussée appelle la climatisation en été et pose des problèmes de qualité de l’air intérieur.
Les bâtiments devront s’équiper de systèmes de pilotage de la recharge des véhicules électriques et, en option, de dispositifs de stockage d’électricité. Les bâtiments neufs devront être bas carbone et leur efficacité mesurée en énergie finale. La réglementation ne s’opposera pas au chauffage électrique moderne, avec gestion active et régulation avancée. L’absurde coefficient de conversion de l’électricité en énergie dite primaire sera supprimé car l’électricité est décarbonée. En revanche, il convient de remplacer les vieux convecteurs électriques inefficaces, surnommés grille-pain, par des radiateurs connectés modernes. La formation des artisans en génie climatique, électricité, plomberie, couverture, électronique et financement est un prérequis de la transition.
Sources d’énergies
Le gaz naturel remplace avantageusement les centrales à charbon dans les pays charbonniers, mais il demeure qu’il émet du CO2. Le méthanisation des déchets fermentescibles est intéressante dans l’agriculture et l’élevage, éventuellement en lien avec des municipalités, si le digestat rend au sol la moitié du carbone des substrats méthanisés.
Les sources renouvelables de chaleur ont été, à tort, négligées. La géothermie, le solaire thermique, le bois mort local, la récupération de la chaleur, réduisent la facture pétrolière. Les villes recueillent la chaleur fatale des eaux usées, incinèrent la fraction combustible de leurs déchets pour produire de l’électricité, comparent les coûts d’un réseau de chaleur avec ceux de l’isolation poussée des bâtiments.
En ce qui concerne les renouvelables électriques, la pompe à chaleur est le partenaire idéal associant prélèvement de chaleur sur l’environnement à utilisation d’une électricité décarbonée de plus en plus d’origine renouvelable. Les Français ont adopté l’énergie solaire photovoltaïque, quelle qu’en soit la surface de support (toitures, ombrières, installations au sol). Nicolas Hulot a annoncé qu’il amènerait les appels d’offres à 2,5 GW par an. La filière propose de relever leur seuil de 100 kW à 1 MW. Elle vise une puissance installée d’environ 50 GW en 2030, dont le plan solaire d’EDF représenterait plus de la moitié. A cette date l’électricité solaire pourrait fournir 10 % de la production d’électricité en France.
Plutôt que de petites centrales réclamant beaucoup d’espace pour une production limitée, j’imagine à l’avenir une peau photovoltaïque couvrant les bâtiments et les édifices, alimentant des microréseaux autonomes. L’autoconsommation se développe et il faut l’encourager tant qu’elle présente un réel intérêt économique. Elle peut offrir en outre une garantie de continuité dans l’approvisionnement en cas de dysfonctionnement du réseau électrique, l’hypothèse d’un conflit majeur ne pouvant jamais être écartée. Cependant des erreurs, voire des escroqueries, ont été signalées. Le métier de couvreur et celui de poseur de cellules photovoltaïques au-dessus d’un toit relèvent de savoir-faire différents. Il faut protéger les citoyens des margoulins.
En ce qui concerne les éoliennes, le gouvernement a rendu les conclusions du groupe de travail ad hoc. Cependant les éoliennes font face à une opposition croissante qui limite leur déploiement. Il semble encore possible pour l’industrie française de se placer sur le créneau des éoliennes maritimes flottantes si le gouvernement montre une volonté politique. Notons que la petite hydraulique, si elle est respectueuse des écosystèmes, et notamment les turbines au fil de l’eau, offrent des perspectives intéressantes. L’ingénieur Georges Claude avait expérimenté en son temps l’énergie maréthermique des mers en exploitant la différence de température entre la surface de la mer et les profondeurs. Les eaux profondes froides sont aussi utilisées pour la climatisation. Ce rappel pour insister sur les besoins en énergie des territoires insulaires.
Bien entendu le stockage de l’électricité apparaît comme la condition nécessaire d’un déploiement des renouvelables dans un réseau combinant les installations centralisées et locales.
Electricité et hydrogène : les vecteurs d’aujourd’hui et demain
A terme, l’électricité et l’hydrogène iront de pair et seront les vecteurs de la société écologique. L’hydrogène sera de l’électricité stockée, produit en électrolysant l’eau par de l’électricité décarbonée en provenance des centrales nucléaires et des sources renouvelables électriques, notamment lorsque celles-ci ne trouvent pas de débouché sur le réseau. L’hydrogène pourra être ajouté au méthane dans les gazoducs. Il alimentera les piles à combustible, il permettra de créer des hydrocarbures à partir du recyclage du CO2.
L’électricité est appelée à irriguer la société par son aptitude à porter l’information autant que l’énergie. Elle permet l’interconnexion des bâtiments, des véhicules électriques, des systèmes de production d’énergie et de gestion des données. L’électrification décarbonée de la société est donc en soi une perspective favorable.
Hydrogène et électricité seront les deux moteurs de la croissance. Il est permis de penser que la consommation d’électricité augmentera avec les véhicules électriques, les systèmes de gestion des données, la blockchain, l’Internet des objets… Une telle augmentation de la consommation d’énergie est-elle répréhensible si l’énergie est décarbonée et produite sans atteinte à l’environnement ? Autant il faut éviter les gaspillages et améliorer avec constance et rigueur l’efficacité énergétique, autant vouloir limiter, voire réduire, la consommation en valeur absolue constitue un contresens si l’on souhaite perpétuer la croissance… un beau débat en perspective.
Les centrales électriques au charbon seront fermées selon l’engagement du gouvernement. Le système électrique français s’oriente vers un mix nucléaire-renouvelables. L’ensemble doit être flexible. La montée en puissance des renouvelables et des systèmes de stockage (en liaison avec l’extension et l’intelligence des réseaux) s’accorde avec la baisse programmée de la production nucléaire. Cette adaptation du parc doit être compatible avec l’intermittence des renouvelables électriques car, à défaut de moyens de stockage suffisamment puissants, ce sont les centrales qui devront relayer les renouvelables en l’absence de soleil et de vent.
Le nucléaire
L’avenir de l’industrie nucléaire nationale et le calendrier des EPR devront faire l’objet d’une mise au point du gouvernement car la désaffection perceptible des jeunes ingénieurs pour la filière peut soulever des questions de sécurité. La sûreté nucléaire a une dimension internationale nécessaire. La connaissance de la radioactivité doit être enseignée. La transmutation des déchets de longue période ne doit pas être écartée. Les recherches sur la génération IV et à plus long terme sur la fusion (ITER), restent stratégiques.
Le mouvement écologiste a été généralement, parfois systématiquement, hostile au nucléaire, estimant le confinement de la radioactivité illusoire. Toutefois il doit faire le bilan d’un demi-siècle de production nucléaire française sans accident. Il est temps qu’il mesure sa position à l’aune de sa mission historique de sauvegarde des conditions de vie à la surface de la Terre. Si le nucléaire s’avère malgré tout un allié indispensable pour réduire la catastrophe climatique, il serait troublant d’avoir été l’artisan de son élimination. Mieux vaudrait chercher à l’améliorer tout en préparant une relève ultérieure par les renouvelables.
L’Europe
Il n’est pas inutile de s’interroger sur la politique européenne de l’énergie. Elle devait assurer à la fois l’indépendance, les bas coûts et la réduction des gaz à effet de serre. Les résultats ne sont pas à la hauteur. En ce qui concerne l’électricité, la mise en concurrence a démantelé une organisation qui pouvait optimiser le système électrique national grâce à la gestion intégrée de la production, du transport, de la distribution et du stockage hydraulique. Il n’est pas certain que la pénétration du digital et la mise aux dimensions européennes du réseau suffisent à compenser la fragmentation du modèle. De temps en temps il est bon d’évaluer le résultat des politiques menées pendant une décennie.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie ? Qu’est-ce ?
Elaborée par le ministère de la Transition écologique et solidaire (avec la Direction générale de l’énergie et du climat – DGEC) en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, la programmation pluriannuelle de l’énergie – PPE – est l’outil de pilotage de la politique énergétique créé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte votée en 2015.
Elle exprime les orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d’atteindre les objectifs de cette loi.
La programmation pluriannuelle de l’énergie couvre, en principe, deux périodes successives de cinq ans. Par exception, la première programmation publiée en octobre 2016, couvrait deux périodes successives de respectivement trois et cinq ans, soit 2016-2018 et 2019-2023.
La révision de la PPE d’ici la fin de l’année 2018, objet du présent débat public, couvrira les périodes 2018-2023 et 2024-2028.
Source :
Le point de vue de Brice Lalonde est aussi disponible via ce lien