Après l’annonce de stratégies ambitieuses par et dans l’Union européenne, l’hydrogène s’impose dans le débat sur l’énergie et la course à la neutralité carbone. L’émergence de l’hydrogène électrique produit grâce aux énergies renouvelables lui redonne une place de choix pour devenir une solution de remplacement des produits pétroliers ou du gaz naturel qui représentent environ 65 % de la consommation d’énergie en France. Nous avons reçu le 8 décembre Thierry Lepercq, président de Soladvent, pour nous en dire plus sur les perspectives de croissance de l’hydrogène électrique et sur les secteurs où il pourrait participer le plus efficacement à la décarbonation de l’économie.
Notre président Brice Lalonde prend tout d’abord la parole pour remercier Thierry Lepercq de sa présence et de sa vue optimiste de l’avenir ce qui est rare et important en ses temps de vision négative du monde et de décroissance. Equilibre des Energies s’intéresse beaucoup à l’hydrogène mais la grande question reste comment le produire ? Car il n’existe pas comme ça dans la nature et si l’on veut qu’il joue un rôle important dans les prochaines décennies on doit trouver des solutions. Et cette question est très liée à celle de l’eau puisque l’hydrogène se produit par électrolyse de l’eau, il en faut donc en quantité et de bonne qualité.
Thierry Lepercq commence par noter qu’on parle effectivement de plus en plus de l’hydrogène partout dans le monde et que les politiques s’emparent de ce sujet. L’Union Européenne vient d’ailleurs d’organiser l’European Hydrogen Forum, une semaine de manifestations regroupant plus de 2000 personnes qui montre bien la détermination de faire de l’hydrogène vert une base pour la transition énergétique.
Il fait la comparaison avec le développement massif des hydrocarbures aux Etats-Unis cette dernière décennie. Il y a 12 ans, le pays ne produisait que 5 millions de barils par jour, en 2020 c’est une production de 13 millions de barils presque équivalente à l’Arabie Saoudite. Le pays a aussi lancé sa production de gaz de schiste grâce à 7 composantes que l’on retrouve aujourd’hui dans le monde de l’hydrogène :
- Composante politique qui a facilité le développement du secteur en autorisant l’exploitation, l’exportation et déclenché une vague entrepreneuriale
- les ressources naturelles
- la technologie de la fracture hydraulique et du forage horizontal
- les infrastructures (gazoducs, stockage, terminaux gaziers pour l’exportation)
- le marché pour être compétitif au niveau mondial
- la finance avec un investissement de 1500 milliards de dollars
- les entrepreneurs (Harold Hamm ou encore Aubrey McClendon qui ont révolutionné cette industrie)
S’il y a une leçon à tirer de cet exemple américain c’est pour Thierry Lepercq qu’une “méga vague” est possible grâce à la conjonction de toutes ces composantes. Il a la conviction qu’il va y avoir un développement massif dans la décennie à venir en Europe car nous sommes en avance et c’est une opportunité exceptionnelle de devenir leader d’une transformation aussi importante. Il faut alors une vision politique forte pour faire de l’hydrogène vert la base des efforts de décarbonation de l’industrie, de la mobilité car l’électrification ne sera pas suffisante pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
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La production d’hydrogène vert devrait atteindre les 1 million de tonnes en 2024 et surtout 10 millions de tonnes en 2030 ce qui est un volume plus que significatif comparé aux combustibles fossiles. L’Union Européenne est loin d’être seule à s’y intéresser puisque de nombreux pays de l’union s’y engage individuellement comme l’Allemagne qui a commencé en juin et la France qui a annoncé un ambitieux projet de 6,5 gigawatts d’électrolyse en 2030 pour un investissement de 7 milliards d’euros. L’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie s’y préparent également.
La production de l’hydrogène vert passe par l’électrolyse de l’eau, il faut donc de l’eau et de l’électricité. Thierry Lepercq se veut rassurant, il n’y a pas besoin de tant d’eau que ça puisqu’avec 1L d’eau on peut produire quasiment l’équivalent d’un demi litre d’essence en hydrogène. Reste la question de l’électricité qui doit être décarboné pour avoir un hydrogène vraiment vert mais la combinaison du nucléaire et des énergies renouvelables le permet. Pour remplacer tout le pétrole dans l’Union Européenne il faut l’équivalent de la surface de 15 départements français de panneaux solaires, c’est faisable avec le potentiel en Europe et en méditerranée et les projets en cours d’installations solaires (200 gigawatts en Espagne) et éoliens (objectif de 700 gigawatts dans l’UE en 2030).
La technologie même de l’électrolyse est bien maitrisée depuis plus de deux siècles et est même aujourd’hui en phase de “gigafactorisation”. La société française McPhy veut déployer à grande échelle des électrolyseurs dans des gigafactories permettant d’en produire beaucoup plus, de plus grande puissance et pour des couts réduits. Elle fait face à la concurrence allemande ou norvégienne mais vient de passer le milliard en valorisation.
Toutes les ressources sont présentes mais encore faut-il pouvoir produire de l’hydrogène de façon abondante et bon marché. Le politique ne peut en effet pas tout faire et les mondes de l’industrie et de la finance sont nécessaires pour créer l’environnement économique et rendre le secteur rentable. Pour rivaliser avec le charbon et le gaz l’hydrogène doit atteindre un prix bascule de 1€50 du kilo livré donc environ 38€ par mégawattheure.
Au niveau financier, la chute des cours des sociétés pétrolières (parfois de moitié) est une bonne opportunité pour l’hydrogène, d’autant que le pétrole est de moins en moins financé. La Banque Européenne d’Investissement a par exemple arrêté le financement des projets liés au gaz. Le monde de la finance est en train de basculer avec de grands investissements pour l’hydrogène, comme cela a été le cas avec le gaz de schiste aux Etats-Unis.
Des financements publics seront aussi nécessaires pour faire monter en puissance le secteur et, par exemple, lancer la conversion des centrales à charbon qui ne sont plus utiles. Cela permet aux actionnaires de reconvertir facilement leur financement tout en conservant les emplois et les sites industriels.
Aujourd’hui c’est un mouvement concret qui est en route avec l’ensemble des acteurs publics et privés et entre les entreprises elles-mêmes car aucune n’a toutes les clés de la chaîne de production. Il va permettre de transformer l’Union Européenne énergétiquement et créer les conditions de son émancipation vis-à-vis du pétrole.
La demande des entreprises pour l’hydrogène sera t-elle au rendez-vous ?
Pour Thierry Lepercq, la demande sera là si les prix sont attractifs. Les entreprises n’achèteront pas d’hydrogène vert s’il est trop cher. Il doit être au prix bascule d’1€50 du kilo livré et pas plus car les consommateurs ne dépenseront pas forcément plus pour une énergie plus verte. Il y a ici besoin d’alliances entre les acteurs, de consortiums pour que l’Europe conserve son avance, sur la Chine par exemple car le marché évolue très vite. Pour cela deux points essentiels :
- Construire des gigafactories pour produire des électrolyseurs en quantité dans les 5 prochaines années
- Développer le réseau de transport pour pouvoir amorcer la démocratisation de l’hydrogène comme source d’énergie dans de nombreux secteurs
L’électricité est aujourd’hui irremplaçable comme vecteur énergétique et a beaucoup de vertu mais il faut pouvoir la consommer en direct plutôt que de la transformer. Elle a une voie triomphante dans la mobilité avec un marché qui représente presque 20%. On arrive à un point de bascule. Mais elle a ses limites aussi. Elle va sans doute pouvoir atteindre les 50% de l’énergie consommée d’ici 2050 mais pas plus. Il ne faut pas non plus sous-estimer la faisabilité du stockage de l’électricité sous forme d’hydrogène qui peut avoir beaucoup d’usages intéressants.
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Avec la fin programmée du gaz, la France annonçant la sortie du gaz pour le chauffage, l’hydrogène à la place pour se développer largement. Ce sera de toute façon de l’hydrogène vert car l’hydrogène “bleu”, produit par vaporéformage du méthane avec une couche de capture du carbone, n’est pas viable économiquement, surtout avec la baisse progressive et attendue du prix de l’hydrogène vert.
Le mot du président
Le président Brice Lalonde se dit enchanté par les propos de notre invité mais aussi inquiet car tout cela doit être systémique, que tout fonctionne en même temps. Le diable est toujours dans les détails mais il faut que tout le monde soit d’accord sur les modalités et la façon de faire. Il y a aussi la question des concurrents à l’hydrogène. L’équilibre avec l’électricité d’une part et de l’autre le gaz qui, malgré son déclin annoncé, reste peu cher. Il y aurait alors besoin d’une taxe carbone significative pour accélérer la transition vers l’hydrogène. L’avenir semble prometteur mais il reste encore les détails à régler.