Le 16 décembre dernier Monsieur Luc Ferry, philosophe, ancien président délégué du Conseil d’Analyse de la Société et ancien Ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, était l’invité de Monsieur Serge Lepeltier, Président de l’association Equilibre des Energies et de Monsieur Jean Bergougnoux, Président d’honneur et Président du Comité scientifique. L’introduction de M. Ferry est disponible en vidéo au pied de cet article.
En 2011, Luc Ferry avait préfacé le livre : “Querelles écologiques et choix politiques” co-écrit par Claude Allègre, Patrick Artus, Jean-Louis Borloo, Yves Cochet, Vincent Courtillot, Jean Jouzel et Jacques Le Cacheux. L’ancien ministre souhaitait dégager les critères humains, économiques et sociaux propres à légitimer une hiérarchisation des priorités d’une politique environnementale efficace et réaliste pour l’avenir !
Cette année, la multiplication des accords internationaux : Paquet climat–énergie 2030, accord USA/Chine, COP20 à Lima montrent que la lutte contre le changement climatique semble partagée sur le plan international. Le président d’EdEn pose trois principales questions qui concernent tous ceux qui préparent maintenant la COP21 à Paris en novembre 2015 :
- Y-a-t-il urgence à agir contre le changement climatique?
- Faut-il nécessairement un consensus mondial pour une régulation internationale?
- Les mesures contre le changement climatique doivent-elle être contraignantes ou incitatrices?
Y a t il urgence à agir contre le changement climatique?
Luc Ferry, qui a organisé en 2011 un séminaire sur le sujet au sein de l’Académie des Sciences, a rappelé qu’il n’était pas climato-sceptique et qu’il était très difficile de faire discuter les différentes parties entre elles de manière rationnelle : « La lutte contre le climat soulève en effet des enjeux philosophiques, métaphysiques, idéologiques qui rendent le débat très passionnel. Mais tout le monde s’accorde sur la nécessité de limiter les émissions de CO2, dont M. Claude Allègre, mais pas forcément sur le caractère urgent d’agir »
Luc Ferry, qui s’appuie sur les rapports du GIEC, soulève le problème du plateau du réchauffement climatique entre 1998 et 2011 qui ne s’explique pas puisque les émissions de CO2 augmentent de façon exponentielle au niveau mondial contrairement au réchauffement qui stagne. Ce point relativise, selon lui, la part des activités humaines dans le réchauffement climatique.
Serge Lepeltier rappelle que le 5e rapport du GIEC démontre que sur 1°C de réchauffement, 80% de ce degré est dû au comportement humain. Selon le président d’EdEn, la concentration de CO2 a augmenté de manière évidente dans l’atmosphère en un siècle et il y a bien urgence à agir rapidement : « N’oublions pas que le CO2 met 100 ans à se concentrer dans l’atmosphère. Nous subissons donc aujourd’hui, les conséquences des émissions de la fin du 19ème siècle et de la 1ere moitié du XXème siècle. Si nous n’agissons pas aujourd’hui, les conséquences seront terribles, tant sur le plan humain, que sur le plan économique avant la fin du XXIe siècle. De plus, aujourd’hui nous ne sommes plus dans un « plateau » qui est un épiphénomène. On ne peut pas lier les émissions de CO2 et le réchauffement climatique au même moment »
Une prévision à 100 ans n’a justement pas de sens pour Luc Ferry. C’est un concept que vend le GIEC pour justifier que l’on agisse rapidement pour lutter contre le réchauffement climatique mais au sein même du GIEC les avis sont partagés sur le caractère positif ou négatif des conséquences du réchauffement climatique.
En effet, des îles pourraient disparaître. Mais en parallèle, les voies maritimes dans la zone arctique pourront s’ouvrir ! Donc les conséquences ne sont pas néfastes pour tout le monde. De plus les catastrophes climatiques ont aujourd’hui des conséquences bien moins graves que les catastrophes politiques telles que la guerre, les famines qui sont organisées politiquement… Ainsi, il n’y a pas d’urgence à agir contre le réchauffement climatique.
Le véritable problème selon M. Ferry est l’épuisement des ressources à horizon 2025-2030.
En effet, le modèle de développement actuel n’est pas tenable car il est basé sur les énergies fossiles. « Pour que l’Inde et la Chine soient au niveau de développement des USA et de l’Europe, il faudrait les ressources de 4 planètes. C’est pourquoi, la croissance mondiale n’est pas tenable en termes d’empreinte écologique mais la décroissance est invendable ». Et c’est là où se trouve l’urgence, offrir de nouveaux modèles de développement, peu émetteurs de CO2 et qui ne soient pas basés sur les énergies épuisables. La préoccupation de la Chine est son développement économique. Le problème écologique s’impose dans le pays car son développement est basé sur les énergies fossiles.
2/ Les mesures contre le changement climatique doivent-elle être contraignantes ou incitatrices?
Les deux anciens ministres s’accordent sur la nécessité de mettre en place une instance de régulation internationale, au minimum européenne.
Luc Ferry pense qu’une écologie punitive ne marchera jamais. Il faut une croissance dépolluante, mais la taxe carbone dans un seul pays est une absurdité. Elle ne peut avoir de sens qu’au niveau européen, au minimum.
Pour Serge Lepeltier, nous sommes dans une économie de marché, le seul critère de choix est le prix pour la majorité des citoyens. Si les mesures sont incitatrices, seule une petite partie des responsables s’engagera dans la lutte contre le changement climatique et surtout contre les gaz à effet de serre. Si nous savons inclure dans le prix d’un produit le coût de la pollution ou la part des conséquences sur l’environnement, le prix du produit sera moins concurrentiel; Donc la taxe carbone est une solution. Ainsi la contrainte du coefficient de calcul de l’énergie primaire à 2,58 ne réduit pas les émissions de co2 des énergies consommées dans un bâtiment, puisque le gaz est calculé à 1. Il faudrait prendre en compte aujourd’hui la part de l’électricité renouvelable prévue en 2030 pour calculer l’énergie primaire à cette date avec un coefficient qui devrait être fixé aux alentours de 2,1.
Le président du comité scientifique d’EdEn, Jean Bergougnoux, confirme que la pénurie des ressources, grâce à la régulation mondiale, se traduit par un mécanisme de prix et répond à des lois de marché.
En revanche, les prix du CO2 et leur régulation sont artificiels ; ils résultent de contraintes, et il faut donc que ces contraintes soient suffisamment contraignantes pour avoir de véritables effets. La limite des émissions de CO2, si ce n’est pour lutter contre le changement climatique, permet de préserver les ressources pour éviter leur épuisement. La mise en place d’une régulation mondiale des émissions de CO2 est donc une véritable urgence pour l’équilibre énergétique mondial.
Pour conclure, Luc Ferry pense en effet que s’il n’y pas d’urgence à lutter contre le changement climatique, il y a urgence à limiter les émissions de CO2 et l’épuisement des ressources naturelles. Le marché des quotas n’est pas une mauvaise idée mais sa mise en place a été un échec. La quantité trop importante de CO2 a fait chuter les prix.
Enfin, il y a un problème de transmission des connaissances car, les incertitudes laissent la place à des idéologies.
3/ Les mesures pour réduire le CO2 peuvent elle être seulement prises dans peu d’Etats ou dans la quasi totalité des Etats du monde?
Selon Serge Lepeltier, s’il faut aboutir à une action de la quasi totalité des Etats du monde, ce sera avec l’engagement exemplaire des Etats d’Europe. Avec près de 500 millions d’habitants sur le vieux continent, les entreprises internationales installées en Europe devront se plier aux règles européennes et leurs normes ne tarderont pas à s’appliquer au sein de toutes les filiales dans le monde.
Pour Luc Ferry, la mondialisation entraîne une impuissance des politiques nationales et seuls des accords internationaux ont un sens. Pour nous cela suppose au minimum des accords au niveau européen. Mais la priorité pour l’Europe est d’avoir une instance de régulation financière qui intègre l’écologie. Il faut éviter l’épuisement des ressources naturelles, sachant que les cinq pays en développement accéléré consomment 77% des matières premières pour leur croissance !
A propos de Luc Ferry
Agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en sciences politiques, ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Luc Ferry est l’auteur de nombreux ouvrages philosophiques qui ont rencontré un grand succès auprès du public. Il est aussi chroniqueur au Figaro et à Radio Classique où il anime sa chronique Les Mots de la Philo chaque week-end à 12h et 16h. Il intervient également en tant qu’expert politique chaque vendredi à 8h40, chez Guillaume Durand, pour commenter à froid l’actualité de la semaine et en dégager une analyse distanciée.
Luc Ferry a publié en mai 2014, « L’innovation destructrice » où il défend l’idée que ce qui va nous sauver, ce n’est pas la décroissance, mais l’innovation. Même si elle déstabilise le monde, même si elle peut être formidable et, en même temps, destructrice. L’innovation est vitale et angoissante à la fois : dans un siècle de déconstruction, la France doit résoudre ce dilemme.