Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’usage veut que l’on exprime les émissions de gaz à effet de serre en tonnes d’équivalent CO2. On en vient à oublier que d’autres gaz contribuent également à l’effet de serre et en particulier le méthane. C’est d’ailleurs en luttant contre les émissions de méthane que l’on peut obtenir les résultats les plus rapides et donner ainsi un peu d’espace à la lutte contre les émissions de CO2.
Le méthane : un gaz à fort pouvoir de réchauffement
Le méthane (CH4) est l’un des principaux gaz à effet de serre identifiés par le GIEC1. Son potentiel de réchauffement global par rapport au CO2 (le PRG) est, selon les métriques utilisées, de 28 à 34 sur une période 100 ans. Il est par contre de 84 à 86 sur une période 20 ans2. C’est donc un gaz à effet de serre puissant et, dans la problématique du réchauffement climatique, son rôle est essentiel.
Dès aujourd’hui, le méthane est directement responsable (figure 1) de 16 % de l’accroissement du forçage radiatif dû aux émissions de gaz à effet de serre depuis l’ère préindustrielle (1750)3. Le problème est que la teneur en méthane de l’atmosphère atteint aujourd’hui (2020) un niveau de 2,62 fois supérieur à celui estimé lors de l’ère préindustrielle (contre 1,49 pour le CO2) et que ce niveau croit depuis une quinzaine d’années à un rythme qui tend à s’accélérer (figure 2). Cette évolution préoccupante explique que l’on cherche à présent à limiter les émissions de méthane et tel est l’objectif que s’est donné la Global Methane Alliance, créée en anticipation de la COP26.
Réduire aujourd’hui les émissions de méthane présente un double intérêt :
- d’une part, c’est éviter d’envoyer dans l’atmosphère un gaz qui, à horizon 2050, a un très fort pouvoir de réchauffement ;
- d’autre part, le non renouvellement des émissions permet au méthane déjà émis dans l’atmosphère de se résorber car le méthane, à la différence du CO2, y persiste bien moins longtemps, se trouvant oxydé en une dizaine d’années par diverses réactions chimiques.
Lutter contre le méthane offre donc la possibilité d’obtenir rapidement des résultats et de donner du « temps au temps » pour traiter d’autres problèmes beaucoup plus difficiles.
D’où proviennent les émissions de méthane ?
Selon le bilan publié en 2020 par le Global Carbon Project (GCP), les émissions de méthane seraient à hauteur de 37 % d’origine naturelle et de 63 % d’origine humaine (figure 3). L’exploitation et l’usage des énergies fossiles pèseraient pour près de 20 % dans ce décompte, sur un total de 576 Mt de CH4 émis par an en moyenne.
Fort heureusement, les capacités d’absorption naturelle du méthane, liées à ses divers processus de dégradation, sont importantes et sont estimées, pour l’instant, par le GCP à 97 % des émissions. Mais la balance entre les deux chiffres est nécessairement instable et une augmentation des émissions, en provenance des énergies fossiles notamment, peut entraîner un très fort accroissement des quantités résiduelles.
Les émissions du secteur des hydrocarbures
Selon l’Agence internationale de l’énergie4, 60 % des 72 Mt de méthane émis par les secteurs gazier et pétrolier proviendraient des fuites sur la chaîne gazière, les 40 % restants étant liés à la production de pétrole.
Toujours selon l’AIE, la répartition de ces fuites entre les principaux pays responsables serait celle de la figure 4. une part croissante peut être repérée par le satellite Sentinel- 5P de l’Agence spatiale européenne. Elles pèsent lourdement dans le bilan carbone du méthane à l’utilisation. Aujourd’hui, dans le chiffre de 244 g de CO2eq retenu par la Base carbone de l’ADEME comme contenu en CO2 du gaz naturel utilisé pour le chauffage, seuls 13,6 g de CO2eq sont supposés provenir des fuites de méthane dans les circuits amont de production et distribution du gaz. Ce chiffre mérite d’être discuté. En effet, un taux de fuite de 1 % sur l’ensemble de la chaîne suffit à expliquer un contenu en CO2eq dans le gaz naturel utilisé de 25 à 64 g/kWh selon que l’on raisonne à 100 ou 20 ans.
Les fuites de méthane ne sont pas seulement d’origine fossile
Le biométhane, résultant de la méthanisation de divers substrats biologiques, fait partie des voies préconisées pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles et parvenir à la neutralité carbone. Malheureusement, les méthaniseurs et leurs installations annexes ne sont pas à l’abri de fuites de méthane. Trop peu de données sont aujourd’hui disponibles sur cette question. Une étude danoise datant de 2013 a montré que les émissions de méthane liées à la production de biogaz variaient, selon les installations de 0 % à 10 %. Le chiffre de 10 % est évidemment considérable mais peut résulter, de façon plausible, de fuites sur l’installation et/ou de négligences dans sa gestion, notamment en ce qui concerne l’utilisation faite des digestats. La Base carbone de l’ADEME propose un contenu carbone du biométhane injecté dans les réseaux de 23,4 g de CO2eq par kWh, ce qui correspond à un taux de fuite compris entre 0,35 % et 1 %. Une telle hypothèse semble très optimiste et devrait faire l’objet d’analyses plus approfondies.
En conclusion
La question du méthane doit aujourd’hui faire l’objet d’une attention accrue, eu égard au rôle du méthane dans la problématique du réchauffement climatique. Les émissions tout au long de la chaîne du gaz naturel doivent continuer à être réduites et le prix actuel du gaz y invite fortement. Le problème de la méthanisation et du biogaz va prendre une importance croissante du fait de l’intérêt que l’on porte au biogaz en tant que solution de décarbonation. La responsabilité de la filière biogaz dans les émissions de méthane doit être examinée avec attention et, avant d’envisager son développement à grande échelle, il conviendrait de mettre en place des mécanismes de contrôle qui viennent sanctionner les installations exploitées de façon négligente sans qu’il soit porté préjudice à l’ensemble de la filière.
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
- IPCC AR5 WG1 Ch8 2013 – Page 714.
- En fait, ce calcul sous-estime l’impact du méthane sur le climat. Car le méthane est transformé par oxydation en ozone et en vapeur d’eau qui amplifient
le réchauffement climatique. En tenant compte de ces effets indirects, il est considéré que le méthane est à l’origine de 30 % du réchauffement climatique
(source : Collège de France). - Driving down methane leaks from the oil and gas industry (IEA – janvier 2021).