François-Xavier Bellamy, à l’heure où la guerre en Ukraine entraîne une hausse des prix sans précédent, comment évaluez-vous la réaction de la Commission européenne pour reconstruire l’indépendance énergétique de l’Union ?
François Bellamy : L’explosion des coûts de l’énergie entraîne un grave problème social pour des millions de citoyens qui font subitement face à des difficultés dans leur vie quotidienne pour se chauffer et pour se déplacer. Cette crise crée également un problème économique et industriel majeur qui frappe plusieurs secteurs clés, notamment les transporteurs, les agriculteurs et les pêcheurs.
Pour y répondre, la Commission européenne a publié en mars une communication proposant un ensemble de mesures qui visent à stabiliser le marché. Ces mesures me semblent ni suffisantes ni adaptées à la situation. La Commission propose notamment de mettre en place une stratégie de stockage du gaz mais dans une situation de pénurie comme celle dans laquelle nous nous trouvons, obliger les États membres à constituer des réserves de gaz ne conduit qu’à tendre davantage le marché.
En réalité, la stratégie de l’Union européenne devrait avant tout mettre l’accent sur la production énergétique et se donner les moyens d’assurer son indépendance vis-à-vis des fournisseurs extérieurs. À ce titre, elle devrait encourager les États membres à produire par tous les moyens décarbonés qui nous sont accessibles aujourd’hui, notamment le nucléaire.
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Pourtant, jusqu’à présent, la Commission est apparue plus que frileuse lorsqu’il s’est agi de définir le rôle de l’énergie nucléaire dans la transition énergétique. Comment l’expliquez- vous ?
F. B. : Personnellement, je ne comprends pas ce tabou de la Commission sur l’énergie nucléaire. L’AIE a publié récemment un rapport dans lequel elle indique que le maintien de l’activité des centrales nucléaires en Belgique et en Allemagne permettrait d’économiser chaque mois 1 milliard de m3 de gaz importé – et bien sûr les émissions de gaz à effet de serre qui seraient associées à la consommation de ce gaz.
L’hostilité de la Commission européenne à l’égard du nucléaire, alors même que nous faisons face à une double urgence de réchauffement climatique et de dépendance énergétique, dénote que, d’une certaine manière, la prise de conscience se situe encore au milieu du gué.
Par ailleurs, le nucléaire est un secteur majeur de recherche et de développement technologique, ce qu’il ne faut pas négliger. La technologie EPR en développement à Flamanville permettra de produire plus d’énergie pour la même quantité de combustible et de réduire de 15 à 30 % le volume de déchets radioactifs générés.
Ce tabou dont vous parlez apparaît d’autant plus paradoxal que l’énergie nucléaire est décarbonée. Or l’Union européenne est par ailleurs engagée dans une stratégie très ambitieuse pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre…
F. B. : La grande erreur que commet l’Union européenne est de penser qu’elle détient à elle seule la solution au problème climatique. Elle agit comme si la neutralité carbone globale pouvait être atteinte en appliquant aux entreprises européennes des normes toujours plus strictes en matière environnementale alors que l’UE n’est responsable que de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Depuis les années 1990, l’Union européenne a réduit ses émissions de près de 20 % quand la Chine les a triplées, en grande partie du fait de la délocalisation de nos industries vers son territoire.
En perdant de vue l’échelle globale, nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre tout en accroissant notre empreinte climatique. Cela n’a de sens ni sur le plan économique ni sur le plan de la décarbonation.
Pour être efficace, la stratégie européenne doit arriver à entraîner l’ensemble de la communauté internationale dans la dynamique de transition énergétique.
Quelles sont les conséquences de la stratégie de décarbonation actuelle de l’UE pour nos acteurs économiques ?
F. B. : Nous avons des acteurs économiques qui sont incroyablement engagés dans la transition carbone mais l’accumulation des règles a conduit à organiser une concurrence déloyale en leur défaveur. En créant un système international où les règles de l’Union européenne sont bien plus strictes que dans toutes les autres régions du monde, on donne en réalité un avantage compétitif au modèle de production qu’on cherchait justement à dissuader.
Tous les industriels et tous les producteurs, quelle que soit leur taille, font face à ce problème. En tant que membre de la commission du Parlement européen sur la pêche, je suis au contact de pêcheurs qui ont beaucoup de difficultés à faire face à une concurrence qui n’applique aucune des règles qui, à eux, leur sont imposées.
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Mais de quels leviers l’Union européenne dispose-t-elle pour rétablir une forme d’équilibre avec ses concurrents étrangers ?
F. B. : Le meilleur levier dont l’Union européenne dispose c’est son marché. Il ne faut pas se voiler la face, ce ne sont pas les COP – même si elles ont un rôle à jouer dans le dialogue international – qui permettront d’harmoniser les pratiques des pays tiers avec celles de l’Union européenne.
Par contre, notre marché européen, avec 500 millions de consommateurs, est le plus grand espace économique du monde et est incontournable pour l’ensemble des acteurs économiques internationaux. Cela nous permet de dire à nos partenaires commerciaux que s’ils veulent être présents sur notre marché, ils doivent respecter un certain nombre de règles et de critères.
Prenons l’exemple de la Chine, il est clair que nous ne pourrons pas forcer le gouvernement chinois à appliquer sur son territoire le droit du travail européen. Par contre, nous pouvons conditionner la ratification de l’accord d’investissement que nous avons signé avec la Chine en 2020 à la ratification par la Chine de l’accord de l’organisation internationale sur le travail forcé. En mettant dans la balance l’attractivité de notre marché, nous pouvons faire pression sur les pays tiers pour faire disparaître des pratiques qui sont désastreuses à la fois sur le plan économique et sur le plan moral.
Est-ce que l’Union européenne a conscience de cette force et est décidée à s’en servir ?
F. B. : Cette prise de conscience est en cours. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou MACF (CBAM en anglais) que le Parlement européen est en train d’adopter en est le meilleur exemple. Avec ce mécanisme, nous allons instaurer une taxe aux frontières de l’Union qui viendra peser sur les importations de produits dont l’empreinte carbone est élevée. Autrement dit, l’Union européenne crée un coût pour le refus de la transition énergétique. Ses partenaires commerciaux ont le choix soit de s’engager dans la transition, soit d’en payer le prix dans leurs échanges avec l’UE. C’est une initiative inédite qui permettra à l’Union de construire son leadership climatique sur la scène internationale et de maintenir des conditions de concurrence équitables pour les acteurs européens.