Dans la lutte contre le dérèglement climatique, le printemps 2021 a été marqué par un remarquable alignement des planètes. Au niveau international, les États-Unis sont revenus dans l’Accord de Paris et Joe Biden a organisé un sommet sur le climat qui a été qualifié de positif. En Europe, le Parlement, le Conseil et la Commission sont enfin parvenus à un accord sur l’objectif de réduction des émissions en 2030, ce qui va permettre de lancer le train législatif Fit for 55. En France, la loi climat et résilience, faisant suite à la Convention citoyenne pour le climat, est passée en première lecture au Parlement et plusieurs textes réglementaires attendus depuis de longs mois sont enfin publiés ou en passe de l’être : la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments (la RE2020), le nouveau diagnostic de performance énergétique des bâtiments (le DPE), la 5e période des certificats d’économie d’énergie (les CEE)… Avec tout cela, le virage pour sauver le climat est-il vraiment pris ?
Beaucoup de points sont très positifs et, sans faire l’exégèse de tous ces textes, on peut reconnaître comme avancées majeures le fait que, pour la première fois, la notion d’émission de gaz à effet de serre rentre dans la définition législative et réglementaire de la performance énergétique des bâtiments et que les règles de construction de la RE2020 applicables aux bâtiments neufs imposent des maximas d’émissions, aussi bien à la construction qu’en exploitation tout au long de la durée de vie des bâtiments. Les fameuses passoires thermiques sont elles-mêmes définies par des critères qui associent consommations d’énergie et émissions de CO2. Tout cela va dans le bon sens et on espère qu’au niveau européen la directive sur la performance énergétique des bâtiments, dont la révision est en cours, prendra enfin en compte les émissions de gaz à effet de serre de façon prescriptive.
Malheureusement, dans le secteur du bâtiment, si les objectifs sont volontaristes, les actes restent timorés et le hiatus est frappant entre le rythme impressionnant imposé au secteur automobile pour sortir de sa dépendance au pétrole et la circonspection dont font preuve les autorités françaises aussi bien qu’européennes quand il s’agit de définir clairement de nouvelles orientations pour le secteur résidentiel et tertiaire.
Soyons clairs : l’introduction de l’échelle des émissions dans le DPE n’est que du green washing. Les plafonds d’émission qui accompagnent pour chaque étiquette les seuils de consommation d’énergie correspondent, à peu de choses près, aux émissions des logements chauffés au gaz. Donc aucune incitation à chercher à faire mieux et à récompenser les logements dans lesquels des solutions moins émettrices auront été installées. Pire, le calcul des consommations d’énergie en énergie primaire déclasse l’électricité par le jeu d’une conversion multipliant le chiffre réel par 2,3. Résultat : les propriétaires de logements chauffés à l’électricité sanctionnés par le statut de passoires thermiques du seul fait de ce coefficient de conversion de 2,3, pourront en sortir à moindre frais en passant au gaz et s’exonérer ainsi des contraintes très lourdes qui vont peser à la location et à la revente de ces logements.
Dans la RE2020, la situation n’est pas plus brillante. Aucune contrainte nouvelle ne s’exerce sur les logements collectifs chauffés au gaz dont on sait que la RT2012 a fait la gloire, en faisant fi de leur impact climatique. Bien sûr, dira-t-on, il y a la perspective d’un resserrement de la contrainte carbone pour les logements qui seront livrés aux environs de 2026. Mais une clause de revoyure est prévue et les lobbies qui ont intérêt à ce que rien ne change sauront faire valoir qu’ils ne sont pas prêts et qu’il faut leur donner davantage de temps.
Dans le même temps, la RE2020, par pure idéologie héritée d’un anti-nucléarisme primaire, interdit des solutions performantes à tous points de vue, associant pompes à chaleur pour l’eau chaude ou autres énergies renouvelables comme le bois, au seul motif qu’elles comportent des radiateurs électriques pourtant modernes et performants. L’électricité n’est reconnue d’origine renouvelable que si elle est produite localement alors que des dizaines de milliards d’euros sont dépensés pour développer les éoliennes et les centrales solaires.
Bref, cette RE2020, après cinq ans de travaux, n’a pas été capable d’aligner ses objectifs sur ceux de la neutralité carbone et l’on va continuer à construire des logements qu’il faudra un jour transformer, si on le peut.
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Comment a-t-on pu en arriver là ? Nous souffrons encore incontestablement de la confusion entre les trois objectifs institués par la règle des trois fois 20 du paquet énergie-climat de l’Europe en 2008 : 20 % de mieux en efficacité énergétique, 20 % de plus en énergies renouvelables et 20 % de moins en émissions. Partant de là, on a affaibli l’objectif central que doit être la réduction des émissions au profit d’objectifs secondaires qui sont en fait des moyens : les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables.
47 ans après la création de l’Agence pour les économies d’énergie, on connaît les difficultés et les limites des politiques d’économies d’énergie, rebaptisées « sobriété », même si tout le monde est prêt à en reconnaître les vertus. Toutes les analyses faites au niveau national ou international s’accordent sur la conclusion que la décarbonation ne se fera pas sans un changement de cap résolu vers les énergies décarbonées comme on l’adopte aujourd’hui dans le domaine de la mobilité.
On sait qu’au niveau de l’énergie finale consommée par les utilisateurs, il n’existe pas d’autres solutions qu’un mix faisant appel pour 50 % au moins à l’électricité décarbonée complétée par la chaleur renouvelable, la biomasse, les bio et e-carburants et l’hydrogène. Mais cette évolution ne se fera pas si elle n’est pas encouragée. Ne comptons pas trop sur Bruxelles pour cela : la politique énergétique européenne reste très fortement influencée par l’Allemagne qui doit gérer l’échec de l’Energiewende. L’Allemagne se tourne à présent vers les milliards de mètres cubes de gaz qu’apportera le NordStream 2 et fait preuve d’un enthousiasme communicatif pour l’hydrogène, même si celui sera à l’évidence largement importé.
La promotion des usages de l’électricité devrait être à nouveau en France une grande cause nationale et la réintroduction dans la réglementation du DPE et de la RE2020 du concept devenu abracadabrantesque de l’énergie primaire est une erreur. Appliquée à la mobilité, cette notion d’énergie primaire ne laisserait aucune chance au véhicule électrique et ne parlons pas de l’hydrogène fabriqué à partir de l’électricité dont on se demande quel coefficient d’énergie primaire on va oser lui donner !
L’administration justifie sa position en indiquant que le coefficient de conversion en énergie correspond assez bien au rapport de prix entre l’électricité et le gaz. Mais c’est bien là le problème : le kWh gaz est très loin d’intégrer dans son prix rendu consommateur les externalités qu’on doit lui imputer et en particulier la valeur tutélaire du CO2 telle qu’elle a été définie par le rapport Quinet. Le fiasco de la contribution climat-énergie aurait dû être compensé sur le plan réglementaire au lieu que soit figé par un coefficient arbitraire un rapport de valeurs qui n’est pas celui que l’on estime correspondre à l’intérêt général.
Bien sûr, toutes ces évolutions sont très délicates à gérer. Nous avons toujours plaidé pour des trajectoires progressives, acceptables par tous les agents économiques. Mais un cap clair doit être fixé. Il faudra sans doute attendre à nouveau, comme ce fût le cas lors de la première phase de la Stratégie nationale bas carbone, que l’on s’aperçoive que l’on s’écarte de la trajectoire avant que l’on ne décide qu’il est temps de redresser la barre.