Dans ce grand entretien, Jérôme Stubler, président de VINCI Construction, explique l’impact que pourra avoir la RE 2020 et comment sa société, malgré la crise que nous traversons, poursuit son effort d’amélioration des bâtiments, neufs ou existants, en développant notamment de nouvelles techniques et de nouveaux procédés.
La rénovation du patrimoine immobilier français est, avec la mobilité électrique, le défi majeur de la transition énergétique. Comment l’abordez-vous et que faites-vous pour qu’il atteigne le rythme nécessaire ?
À l’échelle de la France, le secteur du logement est le premier émetteur de gaz à effet de serre (27 % du total contre 25 % pour le transport). Si l’on ajoute à cela les bâtiments de bureaux, la part est de l’ordre de 40 %. Force est donc de constater l’importance majeure de l’usage des bâtiments dans une stratégie globale de réduction de notre empreinte carbone. Les émissions de carbone d’un bâtiment interviennent à trois moments-clefs, lors de sa construction, en phase d’exploitation et au moment de sa déconstruction. C’est sur ces trois axes que le secteur du bâtiment doit proposer des solutions de réduction de l’empreinte carbone.
La rénovation du patrimoine n’avance pas assez vite, on atteint péniblement en France moins de 2 % par an. Donc, à cette vitesse, il faudra 50 ans pour traiter tous nos bâtiments. Arbonis, notre filiale dédiée au bois, et GTM Bâtiment, spécialiste de la réhabilitation, développent ensemble des panneaux de façade rapportés en isolation thermique par l’extérieur. Ce système permet d’industrialiser la rénovation énergétique par l’extérieur grâce à une optimisation de process et de produit. À la clé, une chaîne limitant les allers-retours entre les intervenants et une solution fiable et économique à tous niveaux : saisie automatisée des données du bâtiment, préfabrication des panneaux en usine pour un chantier rapide, isolant de compression intégré dans les panneaux pour une intégration parfaite avec le bâti, système d’accroches et pose simplifiés. Le tout est pensé dans une optique d’économie circulaire (dispositif démontable et matériaux valorisés). Nous préparons un déploiement plus large dès cette année si le marché est présent. Nous pensons que ce sujet devrait être en tête de liste des plans de relance qui interviendront après la crise sanitaire majeure que nous vivons.
Lire aussi : Les bâtiments modulaires : le réemploi est possible
La France va être le premier pays à intégrer le carbone dans la réglementation qui régit la construction des bâtiments neufs (RE 2020). Comment VINCI Construction se prépare-t-il à construire bas carbone et à limiter les émissions émises, aussi bien lors de la construction que pendant l’exploitation ?
Nous attendons la RE 2020 avec impatience, considérant que cette réglementation peut être un formidable accélérateur d’innovations donnant un avantage compétitif aux entreprises françaises. Les deux axes principaux sont, d’une part, l’impact carbone des bâtiments et, d’autre part, leur performance énergétique, pour aller vers des bâtiments très basse consommation d’énergie, voire à énergie positive. Nous sommes à l’aise sur ces deux axes.
Pendant la construction : bâtir avec moins
Avant la RT 2012, les bâtiments étaient pour la plupart des passoires énergétiques. Leur phase d’exploitation correspondait à 70-80 % du CO2 émis sur leur cycle de vie. Ces 70-80 % ont été divisés par 6 à 7, grâce à une isolation thermique efficace et un changement des chaudières. Ainsi, la phase exploitation ne représente plus que 30 % de la signature CO2 de la vie du bâtiment. Il est donc maintenant temps de s’attaquer aux émissions issues de la phase de construction. Afin de favoriser l’écoconception, nous avons développé nos propres outils d’analyse du cycle de vie (ACV) du bâtiment, de la production des matériaux à la déconstruction, en passant par les phases de construction et d’exploitation. Cela nous permet d’estimer les volumes d’émissions de gaz à effets de serre dès les premières phases du projet. Un lien direct avec les maquettes numériques (BIM) permet à nos filiales de construction et de montage immobilier de calculer, dès la phase de conception, les émissions de gaz à effet de serre des matériaux et équipements d’un projet.
Côté matériaux, l’acier utilisé provient déjà en très grande partie du recyclage. Nous nous attaquons maintenant au béton. Nous développons une gamme de bétons ultra-performants et durables, qui permettent une réduction jusqu’à 70 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux bétons traditionnels. Les bétons bas carbone que nous formulons et commercialisons sous le label et sous la marque EXEGY permettent d’atteindre de telles performances environnementales. Nos chercheurs ont remplacé le ciment traditionnel par des substituts divers à faible signature CO2 ou des déchets d’autres industries telles que les poudres de laitier de haut-fourneau. Le mélange, une formulation brevetée avec notre partenaire Ecocem, offre des niveaux de solidité et de résistance similaires ou supérieures à ceux des bétons traditionnels. Le bâtiment du chantier de l’archipel, le futur siège de VINCI actuellement en construction à Nanterre, repose sur des poteaux construits en EXEGY ultra bas carbone.
La stratégie nationale bas carbone fixe par ailleurs des objectifs élevés sur l’utilisation du bois en construction. Arbonis, là encore, est en pointe, avec une cinquantaine de projets d’immeubles bois de belle hauteur en développement dans toute la France. Mais le bois n’est pas encore français, car la filière n’a pas atteint le seuil industriel.
Construire des bâtiments producteurs d’énergie
Comme évoqué, l’isolation, la suppression des ponts thermiques ont fait de gros progrès depuis 2012. Maintenant, nous pouvons utiliser l’enveloppe des bâtiments pour produire de l’énergie électrique photovoltaïque. Certes tous les bâtiments ne seront pas à énergie positive, mais la plupart peuvent contribuer notablement à leur consommation.
Aujourd’hui, quand vous achetez un panneau photovoltaïque, vous payez 30 % pour acheter les cellules et 70 % pour acheter du verre, de l’aluminium et du transport. Nous croyons fortement à l’avenir du Building Integrated Photo Voltaic (BIPV). C’est ce que promeut la société Aktivskeen, qui dispose de plus de 300 références de façades photovoltaïques intégrées. Il est possible dorénavant de créer des parements de façade produisant de l’énergie, avec une variété de couleurs compatibles avec les choix des architectes. Activskeen propose également des solutions de vitrages dynamiques s’adaptant aux conditions extérieures d’ensoleillement en se teintant à volonté. Les immeubles équipés gagnent en confort pour les utilisateurs tout en baissant la consommation électrique de 20 à 30 %, en particulier les besoins en climatisation. Ce système complète parfaitement le dispositif de chauffage et de climatisation GREENFLOOR® développé avec VINCI Energies, qui transforme les dalles béton en radiateurs ou climatiseurs à haute inertie sans liquide caloporteur. Cette solution équipe déjà plusieurs immeubles en France et sera installée sur le nouveau siège de VINCI.
Ces systèmes se généralisent en Allemagne, aux États-Unis et en Europe du Nord. Il faut qu’ils soient pris en compte dans la RE 2020.
Lire aussi : RE2020, maintenir le cap vers la neutralité carbone en 2050
Les énergies renouvelables ont la faveur du public. Concrètement, est-ce devenu un axe important du domaine de la construction et que faites-vous pour les développer ?
Globalement, c’est un axe toujours très porteur, avec des projets de plus en plus importants, sur un marché encore naissant : des fermes photovoltaïques, des champs d’éoliennes offshore ou onshore, etc.
Nous sommes depuis longtemps des partenaires de référence pour la construction d’infrastructures de production, de stockage et de transit d’énergies renouvelables. Avec VINCI Environnement, nous nous positionnons sur la construction de centrales à biomasse qui génèrent de l’électricité à partir de résidus végétaux ou bois. VINCI Construction s’intéresse aussi à la question du stockage de l’électricité avec un premier projet au Maroc où VINCI Construction Grands Projets et VINCI Construction Terrassement réalisent en ce moment une station de transfert d’énergie par pompage (STEP), qui favorisera le stockage de l’énergie sous forme hydraulique.
Par ailleurs, pour aller chercher le vent plus haut, dans les zones où les vitesses de vent sont plus faibles, Freyssinet a mis au point une solution permettant de construire des tours d’éolienne de grande hauteur, en béton précontraint assemblable sans grande grue par un système de télescopage appelé Freyssiwind. Cette solution permet aux exploitants de tirer parti de vents plus puissants à des altitudes supérieures et d’améliorer la rentabilité de leurs projets.
Enfin, sur le plan de la recherche-développement, VINCI Construction et Entrepose ont signé récemment un partenariat avec le Commissariat à l’énergie atomique pour industrialiser de nouveaux systèmes de stockage d’énergies renouvelables intermittentes.
La lutte contre le dérèglement climatique implique de construire des bâtiments résilients. Quels sont les risques majeurs qui pèsent sur les bâtiments dans le futur et comment VINCI s’y prend-il pour les anticiper ?
Les conséquences du dérèglement climatique sont multiples et doivent être appréhendées projet par projet en fonction des différents risques. Vagues de chaleur et de sécheresse, inondations plus fréquentes et plus intenses… Plusieurs entités de VINCI Construction interviennent, selon les projets, en conseil, maîtrise d’oeuvre ou assistance à maîtrise d’ouvrage.
Parmi les risques liés à la submersion, le plus connu historiquement est celui lié aux crues lentes d’hiver et de printemps. Notre filiale Urbalia modélise tous les aménagements paysagers destinés à stocker, infiltrer ou ralentir les eaux de ruissellement provenant de surfaces imperméabilisées et à favoriser la biodiversité… Pour faire face aux canicules à répétition, Urbalia intervient pour concevoir des îlots de fraîcheur en ville en plantant des arbres adaptés à leur environnement, et pour tirer un maximum de bénéfices des toitures végétales.
Ce travail est complété par des réflexions sur les solutions à appliquer en cas d’inondations rapides. Notre filiale Equo Vivo apporte ses expertises aux villes et aux territoires pour réaliser des rétentions d’eaux et restaurer des sites naturels qui, débarrassés d’anciens barrages par exemple, restituent des zones inondables.
Nous avons également une start-up, Resalliance, incubée chez Leonard (la plate-forme de prospective et d’innovation du groupe VINCI), qui a développé un logiciel d’analyse multicritère permettant d’évaluer la résilience des territoires aux effets futurs du changement climatique. Les premiers appels d’offres intégrant la « résilio-conception » des bâtiments et infrastructures sortent dans le monde. C’est une bonne chose.
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a été promulguée en février, cette année. Quel est votre avis sur la façon dont le secteur du bâtiment peut contribuer à cette nouvelle forme d’économie et en tirer parti ?
Le recyclage des déchets du bâtiment et la mise en place de véritables modèles circulaires existent déjà à une échelle importante : recyclage des déblais des chantiers, des terres polluées, valorisation énergétique des déchets végétaux, optimisation des consommations d’eau et d’énergie, réemploi des revêtements routiers, du béton, du verre, de l’aluminium et des aciers…
Afin d’accélérer le processus et lutter contre les décharges illicites, VINCI Construction a franchi un nouveau cap avec la création de Waste Marketplace. Cette société gère, à l’aide d’une solution digitale pour tous les conducteurs de travaux de la profession, la traçabilité des bennes de décharge du chantier à son recycleur final, optimisant à moindre coût leur revalorisation.
Nos matériaux ne sont pas chers au kg, donc ils sont chers économiquement et écologiquement à transporter. Pour qu’elle fonctionne, l’économie circulaire doit être locale, avec des plates-formes de recyclage disséminées dans les régions.
Lire aussi : Interview Brice Lalonde : De l’économie linéaire à l’économie circulaire
Les bâtiments doivent être vus comme des banques de matériaux qui, à leur démolition ou en phase de rénovation, peuvent alimenter de nouveaux chantiers. En lien avec le CSTB et l’Alliance HQE France GBC, VINCI Construction France affine les paramètres de l’ACV rénovation. Citons par exemple le projet Pulse à Saint-Denis, livré en 2019, qui a largement fait appel à des matériaux de réemploi, notamment près de 22 000 m² de dalles de faux-plancher récupérées sur d’autres chantiers, c’est-à-dire 95 % de la surface du bâtiment.