- Vous parlez d’idées reçues et de confusions récurrentes sur les thématiques de l’énergie et de l’environnement. La note « Énergie : priorité au climat ! » a-t-elle eu pour objectif de les combattre ?
Benjamin Fremeaux : La note « Énergie : priorité au climat ! » a été écrite après les élections présidentielles afin d’alimenter et de prolonger le débat. Lors de la campagne, le changement climatique avait une place dans les programmes de tous les candidats, mais de manière assez lapidaire. Les slogans politiques sont peu propices à la pédagogie sur des sujets aussi complexes. La transition énergétique ne peut se réduire au sempiternel débat qui oppose le nucléaire et les énergies renouvelables. Pour lutter contre le changement climatique, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et en France, les premiers secteurs qui émettent des gaz à effet de serre sont le transport et le chauffage des bâtiments, loin devant le secteur électrique. Il est donc indispensable que l’État priorise ses efforts. Il est urgent d’agir à ces niveaux et de ne pas se tromper de combat.
Nous devons en finir avec les idées reçues sur l’énergie. Ces dix dernières années, les efforts ont porté sur le mix électrique, avec le développement rapide des énergies renouvelables électriques. Trop peu a été fait sur les principales sources d’émission de gaz à effet de serre que sont le transport et le chauffage, secteurs qui dépendent massivement de l’importation de combustibles fossiles (figure 1). La politique énergétique et l’action en faveur du climat doivent reposer sur ces constats objectifs.
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- Quels sont ces constats qui permettraient de réfléchir et d’agir de façon pertinente sur la question du changement climatique ?
B. F : Premier constat, la consommation d’énergie en France reste dominée par les énergies fossiles. Le pétrole, le gaz et le charbon représentent les 2/3 de notre consommation finale d’énergie ( figure 2).
Deuxième constat, et contrairement à ce que l’on peut souvent entendre, la consommation d’énergie baisse en France depuis les années 2000. Une croissance économique en berne, notamment dans l’industrie, et des efforts d’efficacité énergétique expliquent cette tendance.
Troisième constat, la facture énergétique de la France demeure structurellement déficitaire. La facture énergétique de la France – pétrole et gaz – s’élève encore à environ 40 milliards d’euros par an malgré la chute des cours du brut. Quatrième constat, La France émet globalement peu de gaz à effet de serre. La France représente
seulement 1,2 % des émissions mondiales alors qu’elle participe à hauteur de 4,2 % au PIB mondial. Cela ne doit pas nous conduire à relâcher nos efforts, mais nous faire comprendre que notre transition énergétique a d’abord valeur d’exemple pour lutter contre le changement climatique.
On en revient toujours à la même solution, la France doit concentrer ses efforts sur la réduction de sa consommation, et donc de ses importations d’énergies fossiles, que ce soit dans un souci d’indépendance énergétique, d’équilibre de notre balance commerciale ou de lutte contre les émissions de GES.
- Pensez-vous que les positions du gouvernement actuel, et notamment celles de Nicolas Hulot, aillent dans le bon sens ?
B. F : Nicolas Hulot a souhaité alerter dès juillet 2017 sur l’urgence climatique en publiant un Plan climat. Il n’a pas pu résister à la tentation d’un catalogue de mesures avec le risque de perdre en cohérence. On peut saluer des mesures concrètes comme la fin de la production d’électricité à partir de charbon ou l’augmentation de la taxe carbone. Mais il y a encore trop de bonnes intentions comme l’objectif de neutralité carbone en 2050 ou la fin de la vente des voitures essence ou diesel d’ici à 2040. Avec l’interdiction des projets d’exploration d’hydrocarbures, on frôle même la démagogie quand on sait que la France importe 99 % de ses besoins en hydrocarbures, car ce qui ne sera pas produit en France sera importé. Nicolas Hulot use par ailleurs d’outils assez classiques comme la prime au remplacement de véhicules polluants, le chèque énergie (qui ne fait que remplacer les tarifs sociaux), la prolongation du crédit d’impôt transition énergétique ou des certificats d’économie d’énergie. Au bout du compte, il est difficile d’y voir clair sur l’ensemble des moyens (notamment budgétaires), mis en oeuvre et sur les résultats concrets visés en termes de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre.
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- Selon vous, la France n’a pas les moyens de disperser ses ressources financières dans des projets et mesures en faveur de la transition énergétique dont l’efficacité laisse à désirer. Quels sont les meilleurs choix à effectuer ?
B. F : Les moyens financiers et humains que nous pouvons mettre sur la table en matière de transition énergétique ne sont pas illimités. On ne peut augmenter les impôts à l’envie ou augmenter les tarifs de l’énergie. Une politique énergétique se doit d’être efficace. Il faut aller vers les actions qui ont la « rentabilité carbone » la plus forte, c’est-à-dire celles qui ont le plus d’impact en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) par euro investi. Réduire la part du nucléaire à 50 %, par exemple, est une idée louable sur le plan politique, notamment pour des raisons de sûreté et de gestion des déchets, mais ne permettra pas de lutter contre les émissions de GES. Au contraire, plus nous fermerons rapidement nos centrales nucléaires, plus ce sera coûteux. Et ce surcoût sera autant de moins à consacrer aux enjeux prioritaires comme le chauffage et les transports, secteurs fortement émetteurs de CO2.
La rénovation du parc résidentiel et tertiaire recèle des gisements d’économie d’énergie significatifs. Les progrès dans le transport passent par la fiscalité et la décarbonation du secteur : le développement du véhicule électrique ou à hydrogène sera un levier de diminution des émissions de GES. Deux autres enjeux me semblent prioritaires. D’une part, le marché de l’électricité, avec une production d’électricité soumise à de forts dysfonctionnements économiques. Sur l’ensemble de la plaque européenne, le marché de l’électricité se trouve en situation de surcapacité de production. L’Union européenne a échoué à construire un marché efficient qui profite à la fois aux producteurs et aux consommateurs. D’autre part, le nucléaire, avec un parc français qui approche de la fin de sa durée de vie théorique. Celui-ci, construit entre 1980 et 1990, atteindra la fin de sa durée de vie théorique de quarante ans entre 2020 et 2030. Les décisions de prolongation, d’arrêt, ou de renouvellement doivent être prises rapidement.
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- Vous considérez la taxation du carbone comme une mesure efficace sur le plan économique et sur le plan environnemental. Quels sont vos arguments ?
B. F : Je pense que notre politique énergétique doit s’articuler avec une politique climatique fondée sur la taxation du carbone. Cette dernière permet de donner un prix à une externalité négative sans préjuger des choix économiques et technologiques que feront les acteurs pour s’adapter à la taxe. Il est désormais nécessaire que l’Accord de Paris, issu de la COP 21, soit respecté et que les pays du G20 tiennent leurs engagements. L’Europe doit promouvoir une véritable « transition carbone » visant à réduire la dépendance de nos économies aux combustibles fossiles et constituer un axe d’influence économique et diplomatique en la matière. Pour ce faire, la taxation du carbone me semble en effet être une mesure efficace. L’Union européenne s’est dotée d’un marché du carbone qui a atteint ses limites en raison d’un prix du carbone si faible qu’il n’est pas incitatif. Il faut désormais répondre à ses faiblesses pour en restaurer la crédibilité, notamment pour les grands émetteurs industriels. Pour les émetteurs diffus, le recours à une taxe carbone permet d’orienter les comportements des agents. Il s’agira de « verdir » la fiscalité plutôt que de l’alourdir, sans quoi son acceptabilité ne sera pas garantie.
« Energie : priorité au climat ! » : cinq propositions phares :
1/ Maîtriser le développement des énergies renouvelables et anticiper les changements de mode de consommation
• Contenir le poids budgétaire des engagements passés et futurs ;
• concentrer les efforts sur les filières compétitives capables de gagner des marchés à l’export ;
• anticiper les changements de mode de consommation des énergies renouvelables avec l’autoconsommation.
2/Assurer la pérennité du parc nucléaire français
• Prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes, tant que leur sûreté est garantie et que c’est économiquement rentable ;
• rendre le nouveau nucléaire plus compétitif ;
• achever la restructuration de la filière nucléaire française.
3/ Développer les réseaux de chaleur et le biogaz dans le chauffage et inciter à l’isolation du bâti
• Accentuer la politique de soutien au développement des réseaux de chaleur ;
• favoriser à plus long terme le développement du biogaz ;
• appuyer la réglementation thermique des bâtiments sur les émissions de GES selon une méthodologie évaluant le contenu CO2 des différents usages de l’électricité ;
• évaluer et rationaliser les différents outils d’incitation à l’isolation des bâtiments et mieux en cerner les coûts ;
• engager un dialogue sur la responsabilité entre propriétaires et locataires en matière d’isolation des logements.
4/ Développer l’électrification des transports et adapter le cadre fiscal des carburants fossiles
• Rééquilibrer progressivement la fiscalité de l’essence et celle du diesel ;
• rechercher une meilleure concertation au sein de la filière, développer les bornes de recharge ;
• maintenir les dispositifs financiers de soutien à l’achat de ces véhicules ;
• privilégier, par des signaux tarifaires adaptés, la charge lente, au domicile et au travail, pendant les heures creuses.
5/ Renforcer notre action en faveur du climat et l’asseoir sur une taxation du carbone
• Au niveau européen, fixer un objectif consensuel de réduction des importations d’hydrocarbures ;
• mettre en place au sein de l’Union européenne un prix du carbone plancher de 30 €/t de CO2 ;
• conserver la trajectoire d’évolution de la contribution climat-énergie en abaissant en parallèle la fiscalité des entreprises et des ménages ;
• flécher une partie du produit de la fiscalité carbone vers les actions en faveur du climat : énergies renouvelables, réseaux de chaleur, véhicules électriques et hybrides, isolation des bâtiments, etc.
Propos recueillis par Laurent Jacotey