Monsieur le Président, vous avez été brillamment réélu à la présidence de la région Normandie. Vous avez donc à présent la possibilité d’engager pleinement la phase de mise en oeuvre du SRADDET approuvé en juillet 2020. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?
Hervé Morin : En tant que chef de file de l’aménagement du territoire, la Région s’est vu confier l’élaboration du SRADDET, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. L’ensemble des régions françaises se sont attelées depuis trois ans à cet exercice de planification, document à la fois prospectif et prescriptif. De nombreuses contributions ont été recueillies et intégrées dans ce document co-construit avec les partenaires concernés. Alternant réunions de lancement, ateliers, rencontres, rendez-vous spécifiques, la région s’est fortement mobilisée en allant à la rencontre des territoires et des acteurs de terrain, avant d’adopter le document en décembre 2019.
Le schéma fixe des objectifs de moyen et long termes dans de nombreux domaines : l’équilibre des territoires, l’implantation d’infrastructures d’intérêt régional, le désenclavement des territoires ruraux, l’habitat, la gestion économe de l’espace, la lutte contre l’artificialisation des sols, l’intermodalité et le développement des transports de personnes et de marchandises, la maîtrise et la valorisation de l’énergie, la lutte contre le changement climatique, le développement et l’exploitation des énergies renouvelables et de récupération, la pollution de l’air, la protection et la restauration de la biodiversité, la prévention et la gestion des déchets.
Dans le cadre des futures évolutions du schéma, la région associera les territoires normands et ses acteurs comme elle a pu le faire pendant son élaboration entre 2016 et 2019.
L’énergie est un domaine vital mais complexe, où les responsabilités sont réparties entre l’Europe, l’État et les territoires. Quel vous semble devoir être le rôle des régions et de la vôtre en particulier dans ce domaine ?
H. M. : En qualité de chef de file « climat- air-énergie », la région Normandie définit une politique stratégique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie sur son territoire qui se traduit notamment par la mise en oeuvre des plans Normandie Bâtiments Durables, Normandie hydrogène, Méth@normandie ou encore le Plan Bois Énergie. Également chef de file en matière d’intermodalité, nous souhaitons assurer une meilleure continuité de service entre les réseaux et les systèmes publics de transport (urbain, interurbain, ferroviaire…). L’objectif est bien de faciliter les déplacements sur tout le territoire en combinant l’ensemble des modes et services de transport.
Sur un plan général, quelle est votre vision de l’avenir énergétique du pays ?
H. M. : Ma vision de l’avenir énergétique du pays est celle que je défends en Normandie, le territoire de toutes les énergies, un territoire très engagé dans la production d’énergies renouvelables. J’ajoute que le nucléaire et les EPR permettront de renforcer le mix énergétique décarboné.
La Normandie se présente donc comme « le territoire de toutes les énergies ». N’y a-t-il pas cependant des points forts et quels sont les objectifs que vous souhaiteriez voir atteints dans votre région ?
H. M. : Tous les experts, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC), en tête, s’accordent à dire qu’il y a urgence à décarboner nos activités pour sauver l’humanité s’il est encore temps de le faire. Réaliser l’objectif d’émissions nettes nulles d’ici à 2050 et maintenir le réchauffement entre 1,5 °C et 2,0 °C impliquent que nous changions radicalement notre façon de produire et de consommer l’énergie. La COP 26 de Glasgow sera décisive. Nous, et c’est un nous collectif, ne pouvons plus échouer. Nous n’avons plus d’autre choix que d’agir bien et vite.
Au niveau régional, j’ai installé un GIEC normand. Ce groupe d’experts permet de régionaliser les connaissances scientifiques et techniques quant à l’impact du changement climatique, en Normandie, de les diffuser auprès des acteurs régionaux et de la population pour que chacun puisse anticiper les changements climatiques et engager les actions nécessaires pour les atténuer et s’y adapter.
Chaque territoire a sa carte à jouer. La Normandie encourage l’éolien off-shore, l’hydrolien, car elle a un fort potentiel en la matière, beaucoup de vent, de forts courants dans le raz Blanchard, l’un des plus forts courants en Europe. La Normandie s’appuie aussi sur son caractère agricole et bocager pour développer la méthanisation et le bois-énergie comme source de chaleur renouvelable. Nous devons augmenter significativement la part des énergies renouvelables, pour réduire drastiquement l’utilisation des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).
La région Normandie est historiquement liée à l’énergie nucléaire. A-t-elle un avenir ? Êtes-vous prêts à accueillir de nouveaux EPR ?
H. M. : Alors que le conseil d’administration d’EDF a placé, le 16 décembre 2020, Penly en Seine-Maritime en tête des sites envisagés pour la construction de deux réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR2, je fais partie des élus du territoire qui se mobilisent pour soutenir le projet de construction de deux réacteurs de type EPR2 sur ce site nucléaire de Penly entre Dieppe et le Tréport en Seine-Maritime.
À mon initiative, des représentants du territoire normands ont signé en septembre dernier un manifeste de soutien au projet, affichant leur volonté de travailler très en amont, au plus près du territoire, pour préparer au mieux ce chantier d’une ampleur inédite. Nous sommes convaincus que la construction de deux réacteurs EPR2 à Penly est une chance pour notre avenir. Nous nous engageons à adopter une posture ouverte, vigilante et constructive afin de garantir la prise en compte des intérêts du territoire, dès la phase de concertation et sur le long terme. La décision de construction des nouveaux EPR afin de poursuivre le renouvellement du parc nucléaire est en cours d’instruction par l’État. Dans l’état actuel des choses et vu l’urgence à agir, on ne peut pas faire sans le nucléaire.
Les problèmes d’acceptabilité des installations de production et de transport d’énergie sont devenus prégnants dans beaucoup de régions, qu’il s’agisse d’énergie nucléaire mais aussi à présent d’énergie éolienne, sur terre ou en mer. Pensez-vous que les programmes de développement de l’énergie éolienne puissent à présent se développer comme il est prévu ?
H. M. : J’espère vivement que les programmes de ces énergies propres vont pouvoir se développer. La concertation avec les riverains et les pêcheurs est primordiale. Il faut arriver à ce que leur présence soit acceptable pour celles et ceux qui se trouvent ou qui doivent travailler à proximité. C’est en ce sens que la région agit, en plaçant l’acceptabilité de ces projets au coeur de ses politiques et en s’impliquant activement dans le programme Interreg Europe APPROVE1.
En octobre 2018, la région Normandie a lancé le plan Normandie Hydrogène pour accélérer la transition énergétique et développer une filière industrielle d’avenir. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
H. M. : La Normandie est pionnière dans le développement de cette filière sur son territoire. Près d’un tiers de la consommation nationale d’hydrogène se fait en Normandie, en particulier dans le secteur de la pétrochimie ainsi que sur le site d’essai d’Ariane-Group. Outre ces usages traditionnels, de nouveaux usages de l’hydrogène se développent sur le territoire normand, comme la mobilité hydrogène. Souhaitant capitaliser sur ce potentiel, la région Normandie fut la première région française à adopter, en octobre 2018, son plan de soutien à la filière hydrogène. Doté d’une enveloppe de 15 millions d’euros sur trois ans, ce plan a un double objectif : accélérer la transition énergétique normande et la décarbonation de l’économie et constituer une filière industrielle d’avenir en Normandie. Il existe des stations hydrogène en Normandie et une centaine de véhicules y est attachée. Autre initiative : Transdev et la région Normandie ont engagé la transformation d’un autocar roulant jusqu’alors au diesel en autocar électrique alimenté à l’hydrogène, opération permise par un décret de mars 2020 relatif au « rétrofit » de véhicules thermiques. Cette expérimentation constitue à ce jour une première mondiale. Le prototype circulera prochainement avec des voyageurs à bord sur la ligne régionale Nomad Car express Evreux-Rouen.
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La région Normandie est bien placée en matière de bornes de recharge de véhicules électriques. Quel rôle la région joue-t-elle pour conforter ce développement et assurer la qualité du service ?
H. M. : Les bornes de recharge de véhicules électriques ne sont pas à proprement parler de notre compétence, mais de celle des syndicats d’énergie des cinq départements normands que sont l’Eure, la Seine-Maritime, le Calvados, la Manche et l’Orne. La région a aidé à leur financement.
Comme partout, la question de la rénovation des bâtiments est centrale. Quelles initiatives sont-elles prises pour en assurer le rythme et faire en sorte que les populations les moins favorisées voient baisser leur facture énergétique ?
H. M. : La région Normandie, chef de file pour la transition énergétique, pilote un plan d’action Normandie Bâtiments Durables. L’objectif est de soutenir la construction et la rénovation de bâtiments performants énergétiquement, principalement le logement public et privé, collectif et individuel, le parc tertiaire public communal et intercommunal. D’un montant de plus de 110 millions d’euros d’aides régionales et européennes sur 5 ans de 2016 à 2021, ce plan a permis de générer 700 millions d’euros de travaux sur le territoire.
Le plan répond à trois grands enjeux :
- environnemental : réduire la consommation énergétique et la production de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment, le deuxième secteur émetteur après l’industrie en Normandie ;
- économique : faire de la construction et de la rénovation énergétique du parc bâti un levier majeur de développement de l’ensemble de la filière construction normande ;
- social, en réduisant la part des ménages normands en situation de vulnérabilité énergétique du fait du poids du poste chauffage dans leur budget.
Sur 1,7 million de logements du parc normand, la moitié a été construite avant la première règlementation thermique de 1974 et présente des caractéristiques de forte consommation. Ce parc étant constitué aux deux tiers de logements individuels, la mise en place d’un dispositif d’accompagnement des particuliers est particulièrement justifiée.
Les objectifs fixés en partenariat avec l’État et ses agences, ADEME et ANAH, sont ambitieux : 30 000 logements rénovés par an, dont une partie significative de logements de familles à faibles revenus. Le chèque éco-énergie Normandie permet d’entrer en relation avec des professionnels agréés par la région, cabinets d’audit, artisans et entreprises du bâtiment, et donne accès à des aides comprises entre 500 et 10 000 euros.
La région soutient également le réseau normand de l’écoconstruction, groupe de concertation avec les professionnels du bâtiment et des filières de matériaux de construction biosourcés. L’animation du club est assurée par l’ARPE Normandie, l’Association régionale pour la promotion de l’éco-construction. Le plan Normandie Bâtiments Durables s’articule par ailleurs avec le Plan régional de prévention et de gestion des déchets qui s’engage à accompagner tous les acteurs du BTP en permettant de développer le réemploi des matériaux recyclés.
Avec sa façade maritime et le passage de la Seine, la région Normandie est pleinement concernée par la décarbonation du transport maritime et fluvial. Quelles sont les pistes envisagées pour y parvenir ?
H. M. : Là encore, des énergies renouvelables ou le vecteur énergétique hydrogène peuvent être utilisés. Nous avons inauguré le Bac 24, entre Port-Jérômesur- Seine et Quillebeuf-sur-Seine, qui est moins énergivore. Et, dans une volonté commune de transition écologique, nous travaillons d’ores et déjà pour que les prochains bacs fonctionnent à l’hydrogène. Le transport maritime est critiqué pour son impact écologique, la Brittany Ferries, compagnie française qui assure les liaisons transmanche, a annoncé la commande de deux navires hybrides qui seront propulsés au GNL et équipés de batteries électriques. Amenés à remplacer le Bretagne et le Normandie, ils assureront les liaisons Saint-Malo/Portsmouth et Caen- Ouistreham/Portsmouth à l’horizon 2024-2025. C’est une très bonne nouvelle qui va dans le bon sens environnemental.