Alors que le prix de l’électricité a sensiblement augmenté ces derniers mois, les avis divergent entre acteurs sur les facteurs qui ont engendré cette hausse. Dans un contexte où la montée du prix de l’énergie a lancé le mouvement des gilets jaunes, Jacques Percebois, professeur émérite et directeur du CREDEN, était notre invité le 22 janvier dernier pour évoquer l’impact de la politique énergétique volontariste du Gouvernement et de la libéralisation du marché venue de Bruxelles sur les différentes composantes du prix de l’électricité (fournitures, réseaux, taxes).
Le secrétaire général de l’association, Gilles Rogers-Boutbien, introduit ce premier atelier-débat de 2020 en souhaitant à tous une excellente année énergétique, d’échanges, de partages et de construction de notre devenir. Il rappelle également que le sujet du jour est effectivement très lié à l’actualité et est une des préoccupations des Français pour qui la facture énergétique ne cesse d’augmenter, il y a donc une certaine inquiétude vis-à-vis de l’arrivée des énergies renouvelables et des conséquences sur le prix de l’électricité dans le futur.
Pour notre invité du jour, ces questions sont très complexes et de nombreux facteurs entrent en jeu. Le prix de l’électricité est ainsi dépendant de deux principaux : l’évolution de la demande d’un côté, et l’évolution des coûts, donc de la structure de l’offre, de l’autre.
Du côté de la demande, la PPE en cours d’adoption prévoit une baisse de la consommation d’énergie finale générale. Dans le détail, si celle de gaz risque effectivement de diminuer de façon assez importante celle d’électricité devrait stagner voire augmenter de par la forte croissance des usages de l’électricité notamment le numérique, les véhicules électriques et, avec la RE2020 plutôt favorable à l’électricité, le chauffage. Si l’amélioration de l’efficacité énergétique et les efforts faits pour la rénovation des bâtiments peuvent limiter cette hausse, les objectifs de la PPE pour 2028 semblent toujours très ambitieux.
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Du côté de l’offre, l’heure est aujourd’hui à la diminution de la production de nucléaire mais de façon progressive en prolongeant les réacteurs jusqu’à une durée de vie de 50 ans. Cette réduction est certes facile techniquement mais, économiquement, l’énergie produite par les renouvelables (majoritairement solaire et éolien) est plus chère et pose également la question du suivi de charge. Même questionnement pour la pointe avec la fermeture progressive des centrales à charbon.
Qu’est-ce que le prix de l’électricité ?
Après cette introduction sur les dynamiques en cours du marché de l’électricité, Jacques Percebois rentre dans le cœur du sujet en détaillant de quoi se compose le prix payé par l’utilisateur final :
- Le cout de la production (36%)
- Le cout du réseau (30%)
- Les taxes (34%)
Pour le coût de production c’est, en France, le coût du nucléaire qui est déterminant. Avec l’ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique) qui doit se terminer en 2025, les fournisseurs alternatifs peuvent ainsi acheter de l’électricité directement à EDF pour un prix fixé de 42€/MWh. L’inconvénient de ce système c’est que si les prix du marché de gros sont plus bas, ces fournisseurs vont y acheter directement.
Le nouveau système proposé par le Gouvernement s’apparente aux « contrats par différence » anglais et utilise le mécanisme du corridor. Toute la production d’EDF sera disponible sur le marché de gros et est ouvert aux fournisseurs alternatifs mais le prix ne pourra fluctuer qu’entre un prix plancher et un prix plafond fixés par la CRE avec une différence qui ne pourra pas excéder 6€/MWh.
Autre facteur qui peut affecter le prix de production est le prix du carbone qui ne va qu’augmenter et les centrales thermiques étant toujours utilisées lors des périodes de pointe, le prix de l’électricité s’en ressentira lors de ces périodes. Cela pourra être atténué avec le remplacement des centrales charbon par du gaz moins polluant, notamment en Allemagne, et grâce à la conjoncture favorable du prix du gaz actuellement.
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Au niveau des réseaux, les coûts sont plutôt orientés à la hausse. RTE prévoit un budget d’investissement de 33 milliards en 15 ans pour moderniser le réseau et permettre d’intégrer toujours plus d’énergies renouvelables. Il existe également un problème à régler avec le système actuel du péage pour accéder au réseau. Ce dernier est dimensionné selon la puissance appelée (en Watt) alors que la rémunération se fait en énergie consommée (en Wattheure). Cela pose effectivement problème avec le développement de l’autoconsommation, même si elle reste encore marginale en France. En autoconsommation, on utilise le réseau que lorsqu’on en a besoin et on ne rémunère donc plus ou trop peu le réseau car le partage se fait 80% en fonction de la consommation et 20% en fonction de la puissance.
Reste enfin les taxes, qui sont aujourd’hui principalement la CSPE, la CTA et la TVA et qui ont fortement augmentées sauf la CSPE qui est plafonnée à 22,5€/MWh grâce à son financement en partie par la taxe pétrolière. Ce plafonnement pourrait être diminué, surtout pour retrouver un certain équilibre avec le gaz qui est historiquement moins taxé mais Jacques Percebois rappelle que les gouvernements n’aiment pas beaucoup baisser les taxes car il faut alors trouver l’argent ailleurs.
Comment prendre en compte le désengorgement des réseaux par l’autoconsommation ?
Le système actuel ne prend pas assez en compte la dimension puissance. Jacques Percebois précise qu’il ne s’agit pas de pénaliser les autoconsommateurs mais quand on achète de l’électricité on demande d’avoir accès à une certaine puissance, plus importante en général que ce dont on a besoin. En effet, si on additionne tous les contrats souscrits, on est bien au dessus de la puissance disponible en France.
Avec l’autoconsommation, le principe du foisonnement est moins important et les utilisateurs de productions décentralisées vont devoir bien comprendre qu’il faudra faire avec le stockage et la puissance qu’ils peuvent produire.
L’autoconsommateur doit aussi payer les conséquences de l’utilisation du réseau seulement lorsqu’il en a besoin. Cela peut aussi être mis en place via un tarif de secours pour l’accès au réseau, s’il y a besoin de plus de puissance. Le système doit ainsi être adapté au profil du consommateur de demain.
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Le mot du président
Notre président Brice Lalonde remercie chaleureusement le professeur Percebois pour son exposé passionnant sur un sujet qui intéresse grandement notre association. Son propos a toutefois mis en lumière les nombreuses tâches qu’il reste à accomplir pour obtenir une certaine cohérence du système à la fois pour l’équité et l’efficacité économique et il sera intéressant de refaire un point d’ici quelques années pour voir l’évolution.
Ce qu’en pense EdEn
Attaché comme les Français à un prix de l’électricité bon marché, EdEn considère comme primordial que l’électricité le reste, en particulier au moment où elle est appelée à être le vecteur énergétique principal de la décarbonation.
Pour ce faire, EdEn estime qu’une revue des taxes sur l’électricité pourrait être un levier pour garder l’électricité compétitive. En effet, il s’avère qu’aujourd’hui, bien que décarbonée, l’électricité est davantage taxée que le gaz. Mettre l’électricité, a minima, au même niveau pourrait être l’opportunité de maintenir un prix de l’électricité avantageux tout en permettant de prendre en compte les évolutions du réseau électrique de demain.