La transition énergétique ne se fera pas sans l’usager. Ce message, porté depuis plusieurs années par les pouvoirs publics européens et français, part d’un constat simple : imposer un nombre croissant d’obligations en matière énergétique aux acteurs de l’offre (fournisseurs d’énergie, industriels, professionnels du bâtiment, etc.) par divers mécanismes[1] n’a de sens que si la demande (particuliers et entreprises) répond elle aussi présente et modifie ses habitudes de consommation.
Si de nombreuses initiatives[2] ont été lancées au fil des ans, aux niveaux européen et français, afin de donner un rôle plus actif au consommateur dans la transition énergétique en cours, plusieurs obstacles demeurent : absence de réel signal prix, bilan mitigé de l’ouverture à la concurrence des marchés énergétiques nationaux ou encore opacité de l’éco-étiquetage pour l’usager.
Première salve de propositions annoncée depuis l’adoption du « Paquet énergie-climat 2030 » en octobre 2014 par les Etats membres, le « Paquet d’été » présenté le 15 juillet dernier par la Commission européenne a pour ambition de surmonter les obstacles constatés jusqu’ici et d’offrir une « nouvelle donne » aux consommateurs. Explications.
L’élimination programmée des entraves à la liberté du consommateur pour un rebattage des cartes de la transition énergétique
Agir est une question de choix. Encore faut-il que le consommateur soit en situation de faire un choix libre et éclairé, ce qui n’est pas toujours le cas pour des raisons à la fois juridiques, financières ou techniques.
Le bilan en demi-teinte[3] de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en est une illustration : la majeure partie des consommateurs est en effet demeurée auprès des opérateurs historiques[4]. La Commission européenne[5] attribue cet état de fait à plusieurs facteurs : l’existence de barrières légales et financières (coûts et délais de mise en œuvre des demandes de résiliation,…) empêchant le consommateur de changer rapidement et facilement d’opérateur, la difficulté pour l’usager de comparer facilement les différentes offres disponibles, l’existence de pratiques abusives dans le secteur ou encore le recours des Etats membres à une tarification réglementée empêchant le consommateur de bénéficier d’un réel signal prix. Pour surmonter ces différents obstacles, la Commission européenne propose notamment de développer des critères objectifs de comparaison entre les différentes offres existantes, l’insertion d’informations obligatoires dans les factures et formats publicitaires, la mise en avant des contrats de fourniture d’énergie à tarification dynamique[6] ou encore l’adoption de mesures de protection des consommateurs spécifiques au secteur de l’énergie[7].
Le renforcement des prérogatives des usagers passe également, selon la Commission européenne, par le développement de solutions techniques leur permettant de connaître leur consommation de façon précise (compteurs intelligents[8]), de l’optimiser (systèmes de pilotage automatique des équipements de la maison) ou de varier leurs sources d’approvisionnement énergétique (autoconsommation) tout en améliorant le fonctionnement du réseau (smart grids). Par conséquent, le soutien au développement de ces différentes technologies sera au cœur de la stratégie poursuivie par l’Union européenne de l’Energie au cours de ces prochains mois/années.
La refonte du système européen d’éco-étiquetage pour une « liberté responsable » du consommateur
Cela fait maintenant plus de vingt ans que l’Union européenne impose l’apposition, sur un nombre grandissant de produits (équipements de chauffage mobiles, télévisions, ordinateurs, …) mis en vente sur le marché européen, d’une étiquette censée informer le consommateur sur la performance énergétique du produit qu’il s’apprête à acquérir. Si le système a fait ses preuves[9], il a également montré ses limites : le contrôle par les Etats membres de la conformité des produits aux exigences d’éco-étiquetage reste insuffisant[10] et les progrès technologiques réalisés au cours de ces 5 dernières années ont rendu obsolètes le système d’étiquetage actuel[11] (la plupart des appareils sont désormais classés A+++, A++ et A+ ce qui ne permet pas au consommateur de comparer facilement les produits).
Pour remédier à ces deux problématiques, la Commission européenne propose de remplacer la directive 2010/30/UE par un règlement[12] qui entrerait en vigueur le 1er janvier 2017. Cette proposition de règlement réinstaurerait ainsi un classement de A à G pour plus de visibilité, la Commission européenne devant s’assurer que les exigences qu’elle fixera à l’avenir ne permettront à aucun produit de prétendre d’entrée de jeu à une étiquette A ou B[13]. Les modalités d’étiquetage des produits déjà concernés par l’éco-étiquetage (ex : chauffages électriques mobiles) devraient par conséquent être mises à jour entre le 1er septembre 2017 et le 1er septembre 2022[14].
Pour un contrôle facilité du respect des exigences d’éco-étiquetage, l’article 8 du projet de règlement créerait une base de données recensant l’ensemble des produits concernés par les règles d’éco-étiquetage. A partir du 1er janvier 2019, les fabricants devraient y enregistrer les informations obligatoires[15] concernant le ou les produits qu’ils souhaitent mettre sur le marché.
Si le nouveau système proposé par la Commission européenne semble effectivement plus simple, il reste cependant à voir si sa mise en œuvre tiendra compte des autres problématiques signalées jusqu’ici par de nombreux acteurs du secteur énergétique (bonne articulation des règles d’éco-étiquetage avec celles d’écoconception[16], équité des obligations imposées pour les différentes sources d’énergie utilisées, mesure dans la fixation des obligations imposées aux fabricants[17]). Gageons que la procédure législative portant sur le projet de règlement sera l’occasion pour la Commission européenne de préciser ses intentions et d’apporter, le cas échéant, les garanties nécessaires.
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Le « paquet d’été » de la Commission européenne constitue le premier jalon concret de la mise en place de l’Union européenne de l’énergie. Cependant, comme l’a rappelé la Commission européenne dans ses différentes propositions, de nombreuses initiatives (législatives ou non) devront encore être prises au cours des prochains mois/années afin de donner au consommateur la place qui lui revient dans le cadre de la transition énergétique. L’usager devra donc patienter encore un peu avant d’avoir toutes les cartes en main…
Rédigé avec le soutien de Antoine Vitela et Diane Bonifas
[1] Exemples : Certificats d’Economie d’Energie (CEE), exigences d’écoconception, label « Reconnu Garant de l’Environnement », règlementations thermiques, etc.
[2] Exemples : ouverture du marché à la concurrence, information renforcée par l’éco-étiquetage et le diagnostic de performance énergétique, …)
[3] Voir notamment le Communiqué de presse du 17 juin 2015 du Médiateur national de l’énergie.
[4] Exemple de la France où seuls 10% des consommateurs ont souscrit un abonnement auprès d’un opérateur alternatif.
[5] Communication COM/2015/339 du 15 juillet 2015 de la Commission européenne : « Une nouvelle donne pour les consommateurs »
[6] La Commission européenne compte faire des propositions à ce sujet dans le cadre de la refonte de la Directive sur l’efficacité énergétique et de ses prochaines propositions législatives afférentes à l’organisation du marché de l’énergie. Selon la Commission, les contrats à tarification dynamique, qui existent déjà en Finlande ou en Suède, pourraient permettre aux consommateurs d’économiser entre 15 et 30% sur leur facture d’électricité.
[7] Le renforcement de la protection des consommateurs passerait notamment par l’insertion, au sein du règlement relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs, de dispositions spécifiques au marché de l’énergie.
[8] A noter que la Commission entend tout de même mettre en place des garanties concernant l’utilisation des données personnelles qui seront collectées dans le cadre de l’utilisateur des compteurs intelligents.
[9] 175 millions de tonnes-équivalent pétrole d’énergie primaire économisées chaque année.
[10] D’après la Commission européenne, 10 à 25% des produits mis sur le marché européen ne sont pas conformes aux exigences existantes.
[11] Système instauré par la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010 relative à l’étiquetage des produits ayant une incidence sur la consommation d’énergie.
[12] Pour rappel, un règlement européen produit, contrairement aux directives, des effets de droit dans un Etat membre sans procédure de transposition en droit interne.
[13] Article 7 de la proposition de règlement. L’objectif est que la majorité des produits mis sur le marché ne puissent prétendre à la classe A ou B avant au moins 10 ans.
[14] Point 6 de l’article 7 de la proposition de règlement.
[15] La liste des informations demandées sera précisée en annexe du règlement final.
[16] Règles fixées par la directive 2009/125/CE du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie.
[17] Cf. note n°5