Les véhicules électriques séduisent de plus en plus d’usagers puisqu’ils représentent à présent plus de 8 % des immatriculations de véhicules neufs. Cependant, le problème des bornes de recharge fait encore souvent hésiter les acquéreurs potentiels. Claude Renard fait le point pour EdEn.
Avant d’en venir aux bornes de recharge pour véhicules électriques, quel regard portez- vous sur le développement du véhicule électrique dans notre pays ? Sommes-vous « dans les clous » par rapport aux grands objectifs fixés par la PPE ?
Claude Renard : Pour faire face aux enjeux climatiques et réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, le développement de l’électromobilité est une priorité, régulièrement affichée et confortée notamment dans le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Plusieurs mesures incitatives ont été mises en place pour accélérer la transition écologique, dont le bonus à l’achat d’un véhicule propre qui a permis un développement spectaculaire du véhicule électrique ces derniers mois, avec 2 % de part de marché en 2019, 6 % en 2020 et 8 % au mois de mars dernier. Sur cette lancée et avec les engagements des constructeurs, les objectifs ambitieux de 4,8 millions de VE et VHR en circulation en 2028 et 7,5 millions en 2030 sont atteignables.
Venons-en aux problèmes des bornes de recharge. Quels sont les goulets d’étranglement qui vous semblent devoir être levés en priorité ?
C. R. : Le déploiement de réseaux d’infrastructures de recharge de véhicules électriques doit accompagner et même anticiper les ventes de véhicules électriques. Les bornes de recharge étaient jusque récemment sous-utilisées et certaines le sont encore, et ce pour deux raisons principales : la première réside dans l’autonomie assez faible des premiers véhicules électriques les cantonnant à un usage pendulaire, sans éloignement de la recharge principale (domicile ou entreprise) et laissant peu la place à des recharges publiques ; la seconde tient au fait que le parc roulant est encore relativement faible. La situation évolue depuis un an, l’autonomie augmente permettant d’envisager des déplacements longue distance. Le parc roulant de VE dépasse fin mars 2021 les 370 000 unités pour moins de 220 000 au début 2020 et nous constatons un accroissement massif des projets de déploiement d’infrastructures. Et déjà, on observe que pendant les trois premiers mois de 2021, il s’est déployé plus de bornes que pendant toute l’année 2020 ! Les actions du gouvernement et les mesures d’accompagnement n’y sont pas étrangères.
Sur les autoroutes et les voies rapides, des annonces ont été faites, mais on n’a pas l’impression que les choses évoluent très vite. Quel est aujourd’hui votre calendrier ? Les concessionnaires, les distributeurs de carburant, les constructeurs automobiles ont-ils réussi à se mettre d’accord ?
C. R. : Le dispositif mis en place dans le cadre du plan de relance est maintenant complètement opérationnel. Mais nous sommes sur des stations de recharge de haute puissance, les raccordements électriques peuvent dépasser les 2 MW, impliquant des délais de raccordement plus longs qu’une simple ouverture de compteur surtout en cas de renforcement de lignes haute tension. Les infrastructures, de 4 à 12 points de charge haute puissance, nécessitent également des investissements et des travaux importants, ainsi qu’une intégration dans le dispositif concessif des aires de service du domaine public. Nous avons mis en place des procédures exceptionnelles pour anticiper les raccordements avant même la sélection d’un opérateur de bornes sur une aire de service. Ainsi, grâce aussi à d’autres mesures, nous pourrons avoir dès fin 2021, 192 aires de service sur les 368 du réseau autoroutier équipées d’infrastructures de recharge.
Lire aussi : Bornes de recharge ouvertes au public : les dernières mesures réglementaires
Trop d’installations sont aujourd’hui hors service sans que l’utilisateur en soit forcément informé. Quelles mesures envisagez-vous pour améliorer la qualité de service ? L’AFIREV propose un observatoire de la qualité de service. L’initiative ne devrait-elle pas revenir aux pouvoirs publics ?
C. R. : Le sujet de la qualité de service est primordial pour sécuriser l’usage de l’électromobilité. Nous avons mis en place depuis le début de l’année via le dispositif Advenir la possibilité de pouvoir accompagner financièrement la remise à niveau des installations de recharge « obsolètes ». En complément, nous conditionnons l’octroi des aides à des engagements de qualité. Des exigences de qualification pour les entreprises réalisant les installations ou la maintenance des infrastructures apportent un premier niveau de garantie, mais la structuration de l’écosystème de la recharge va imposer aux opérateurs, pour rentabiliser leurs investissements, d’avoir des installations qui fonctionnent. L’observatoire de la qualité et les travaux réalisés par l’AFIREV sur ce sujet sont particulièrement importants pour la filière ; on va voir se développer la compétition entre opérateurs pour atteindre les meilleures qualités de service possible et l’aspect concurrentiel s’accentuera.
Même quand elles marchent, l’utilisation de ces bornes n’est pas toujours chose aisée. Les moyens de paiement sont multiples, il faut une multitude de cartes d’abonnement, les tarifs sont erratiques et difficiles à comprendre, il est impossible de réserver… Quelles mesures préconisez-vous pour rendre la vie plus facile au citoyen ?
C. R. : Il faut se rendre à l’évidence, l’utilisation d’un véhicule électrique est fondamentalement différente de celle d’un véhicule thermique et cela nécessite de l’apprentissage et une préparation. De nombreuses informations sont disponibles sur le site www.je-roule-en-electrique.fr. Le sujet des moyens de paiement ou des évolutions tarifaires, régulièrement mis en avant dans la presse spécialisée, nécessite quelques explications : la réglementation impose le paiement à l’acte et le définit comme « la faculté pour l’utilisateur d’un véhicule électrique d’accéder à la recharge et au paiement du service de recharge sans être tenu de souscrire un contrat ou un abonnement », c’est le minimum et les opérateurs d’infrastructures de recharge peuvent développer leur propre offre de badge pour faciliter les paiements, gérer les facturations, etc. ou proposer des abonnements permettant des tarifs préférentiels, mais également accepter en interopérabilité (roaming) les badges d’autres opérateurs de mobilité. Cette interopérabilité, qui peut être mise en oeuvre par des plates-formes telles que GIREVE, peut occasionner des frais entre l’opérateur de bornes et l’opérateur de mobilité, de quelques centimes d’euros à chaque recharge. Ainsi, il peut être intéressant si l’on se recharge régulièrement sur plusieurs réseaux d’avoir les badges de chacun de ces réseaux, un peu comme on dispose de plusieurs cartes de fidélité de nos enseignes commerciales préférées.
Une des solutions pourrait être le développement du plug & charge, afin de permettre à une voiture électrique de se recharger sur une borne sans autre identification que la relation connecteur/véhicule… exit alors les cartes d’abonnement ou de paiement. L’autorisation de charge et la facturation sont directement établies via un protocole de communication sécurisé entre la voiture et la borne de recharge (norme ISO 15-118). Une nouvelle version de cette norme devrait sortir en 2021 et, avec la mise en place des premiers certificats de sécurité, indispensables pour sécuriser les actes de recharge et les transactions financières afférentes, le plug & charge pourrait se généraliser, facilitant l’expérience utilisateur.
On évoque souvent le risque d’embolie des stations lors des grands départs. Comment éviter ce type de situation ?
C. R. : Le dimensionnement d’un réseau d’infrastructures de recharge dense est indispensable pour faciliter le trafic lors des grandes migrations estivales. Les infrastructures de haute puissance sur chaque aire de service du réseau routier national et du réseau autoroutier seront complétées par les stations et hubs de recharge en périphérie ou dans les grandes agglomérations ainsi que sur le réseau routier secondaire, ces dernières pouvant être éligibles aux aides financières d’Advenir. Ces infrastructures sont généralement conçues pour être évolutives et s’adapter à la croissance du parc roulant de véhicules électriques. À ce titre, un récent arrêté (arrêté du 27 avril 2021 modifiant l’arrêté du 12 mai 2020) vient de porter à 5 MW au lieu de 1 MW le seuil en deçà duquel la réfaction majorée de 75 % des coûts de raccordement est possible.
La recharge en copropriété continue à relever du parcours du combattant. De multiples solutions s’affrontent, les syndics sont perplexes et les copropriétaires arrivent rarement à se mettre d’accord. S’agissant des colonnes montantes desservant les appartements, la loi ELAN a fini par en transférer la propriété aux gestionnaires du réseau de distribution. N’y a-t-il pas là une voie que l’on pourrait suivre pour la desserte des emplacements de stationnement ?
C. R. : Au-delà des copropriétés, c’est l’ensemble du résidentiel collectif qui doit faire l’objet de mesures facilitant l’installation des infrastructures collectives, sur lesquelles les usagers pourront installer leur borne individuelle. Plusieurs solutions techniques existent, de nombreux opérateurs proposent des solutions clés en main et plusieurs centaines de milliers de places de stationnement en résidentiel collectif peuvent déjà avoir accès à une possibilité de recharge. Toutes ces solutions ont des avantages et peuvent avoir des inconvénients, en fonction notamment du nombre et de la configuration des places de stationnement, et le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires doit pouvoir se décider de façon éclairée. Pour cela, l’Avere-France, en partenariat avec ENEDIS, la FFIE et le GIMELEC ont récemment publié le Guide pour l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques et hybrides rechargeables en copropriété.
Lire aussi : Bornes de recharge ouvertes au public : les dernières mesures réglementaires
Le projet de loi climat et résilience apporte aussi des évolutions notables et permet, sur demande du propriétaire ou du syndicat des copropriétaires, d’installer une infrastructure collective relevant du réseau public d’électricité avec une prise en charge couverte par le tarif d’utilisation du réseau, moyennant la mise en place d’une convention et une contribution des utilisateurs qui demanderont la création d’un branchement individuel alimenté par cette infrastructure collective. De plus, en cas de reste à charge nul pour la copropriété, les décisions pourront être prises à la majorité simple, facilitant grandement les prises de décision lors des assemblées générales.
Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les aides qui sont aujourd’hui ouvertes aux copropriétés et aux particuliers ?
C. R. : En complément d’éventuelles aides apportées par les collectivités locales, le dispositif Advenir permet de prendre en charge jusqu’à 50 % des coûts de l’infrastructure collective ainsi qu’une partie des coûts individuels. De plus, chaque particulier peut bénéficier d’un crédit d’impôt de 75 %, plafonné à 300 € pour l’installation d’une borne individuelle.
Aujourd’hui le pilotage de la recharge reste l’exception. Pourtant, il faudra y venir pour éviter que les véhicules électriques n’occasionnent des appels de puissance excessifs sur le réseau. Comment pensez-vous que l’on puisse procéder pour développer de tels systèmes ?
C. R. : Pour être précis, il faut distinguer la capacité du réseau d’une part et l’optimisation de la puissance de raccordement des infrastructures à ce réseau. Les études réalisées par Enedis selon différents scénarios montrent une assez forte résilience du réseau de distribution simplement avec le premier niveau de pilotage qu’est l’utilisation d’une recharge en heures creuses. Ensuite, il pourra être pertinent de développer des solutions plus « intelligentes » de pilotage, notamment dans le cas de plusieurs véhicules en charge sous le même point de livraison tel qu’un parking collectif, souvent limité en puissance (par exemple à 36 kVA ou 250 kVA pour les plus grands). L’accès à moyen terme à ces technologies pour de tels pilotages ne semble pas poser de difficultés majeures, mais les équipements devront être suffisamment évolutifs pour les intégrer.
Lire aussi : Le pilotage de la recharge des véhicules électriques, source de flexibilité pour le réseau de distribution
Équilibre des Énergies a milité pour que, dans les territoires, l’équipement en bornes de recharge se fasse de façon rationnelle. La loi énergie-climat a prévu que les AOM, les autorités organisatrices de la mobilité, puissent élaborer des schémas directeurs d’équipement en infrastructures de recharge et bénéficient à ce titre d’une réfaction portée à 75 % sur les coûts de raccordement. Où en est-on, où est le décret prévu par la loi et le guide qui doit l’accompagner ?
C. R. : Le décret est finalisé et devrait être normalement publié lorsque vous lirez ces lignes [Ndlr : décret 2021-565 du 10 mai 2021 publié après l’entretien]. Mais surtout il faut souligner la publication prochaine d’un guide réalisé collectivement pour faciliter l’établissement de ces schémas directeurs. Ainsi seront disponibles toutes les clés pour disposer rapidement des outils permettant des installations de recharge à la bonne puissance, au bon endroit et en nombre suffisant.