Ce jeudi 1er juin, à 21 heures en France, le Président des Etats-Unis, Donald Trump, réunissait la presse pour annoncer sa décision de quitter l’Accord de Paris. Ce choix, principalement porté par des considérations économiques américo-américaines a déclenché une vague de condamnations unanimes sur tout le globe. « Retour sur » ces déclarations et analyse de la situation avec Jean-Pierre Hauet, conseiller pour EdEn.
Une condamnation unanime des institutions internationales
Les Nations Unies via leur porte-parole Stéphane Dujarri, a immédiatement réagi à la décision du Président américain. L’institution internationale « fait confiance aux villes, aux Etats et aux entreprises aux Etats-Unis pour continuer – avec d’autres pays – (…) à oeuvrer en faveur d’une croissance économique durable et à faible émission de carbone qui créera emplois de qualité et marchés et assurera la prospérité au 21eme siècle ».
De son côté, Jean-Claude Juncker (Président de la Commission européenne) s’est déclaré « profondément déçu par la décision américaine » sur twitter et a rappelé que l’engagement européen « envers l’Accord de Paris est inébranlable. Nous allons continuer à mener la lutte contre le changement climatique ».
La France en première ligne pour défendre l’Accord de Paris
Le Président de la République, Emmanuel Macron, est quant à lui intervenu publiquement à 23 heures pour exprimer à ce sujet Il a d’abord regretté le fait que « Trump a commis une faute pour l’avenir de notre planète » et que « si nous ne faisons rien nos enfants connaîtront un monde fait de migration de guerre et de pénuries ». Par la suite, il a souligné la position ferme de la France sur une éventuelle renégociation de l’Accord en affirmant que « rien n’est négociable dans les accords de Paris » tout en appelant « l’ensemble des pays signataires à demeurer dans le cadre de l’accord de Paris […] et à ne rien céder ».
Le Ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, s’est positionné dans la droite ligne du Président en déclarant ce matin « C’est un message d’une violence inouïe qui est envoyé à ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui, chaque année, à cause des conséquences du changement climatique, sont obligés de quitter leur territoire. C’est un message d’une violence inouïe aux familles de ceux et celles qui par million meurent chaque année de la pollution due à l’utilisation des énergies fossiles »
Quant au Président de la COP 21, Laurent Fabius, il a déploré « une vision complètement fausse de croire qu’il serait positif pour les Etats-Unis de sortir de l’accord de Paris […] Les créations d’emplois dans le domaine des énergies vertes vont être plus importantes que les suppressions d’emplois dans les secteurs dépassés » vision qui a amené Donald Trump à prendre sa décision. De plus, l’ancien Ministre des Affaires étrangères a réaffirmé la capacité de l’Accord de Paris à perdurer « M. Trump, malgré le caractère honteux de sa position, n’arrivera pas (…) à détruire l’accord de Paris ».
Une société civile américaine unie contre le retrait américain
L’onde de choc du retrait américain a très rapidement pris une tournure politique, en effet, deux PDG de firmes majeures (Tesla, Disney) ont décidé de quitter le «Forum stratégique» (PDG de grandes entreprises américaines qui conseillent Donald Trump).
Elton Musk (PDG de Tesla) : « Je quitte le conseil du Président. Le changement climatique est quelque chose de réel. Quitter [l’accord de] Paris n’est pas bon pour l’Amérique et le monde ».
Bob Iger (PDG de Disney) : « Par question de principes, j’ai donné ma démission du conseil du Président à la suite du retrait de l’accord de Paris ».
Barack Obama, qui avait ratifié l’Accord de Paris regrette le message que les Etats-Unis envoient au monde, il estime « que les Etats-Unis devraient se trouver à l’avant-garde. Mais même en l’absence de leadership américain; même si cette administration se joint à une petite poignée de pays qui rejettent l’avenir ». De plus, il remet en cause l’argumentaire économique qui a amené la décision du Président républicain en certifiant que ce sont les pays « qui restent dans l’accord de Paris seront ceux qui en récolteront les bénéfices en termes d’emplois et de secteurs d’activité créés ».
Jeff Immelt, PDG de General Electric, l’un des leaders de l’énergie aux Etats-Unis s’est déclaré « déçu par la décision aujourd’hui [jeudi] sur l’accord de Paris. Le changement climatique est réel. L’industrie doit maintenant prendre la tête et ne plus dépendre du gouvernement ».
L’ancien Vice-Président et Prix Nobel de la Paix avec le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) en 2007, Al Gore s’est lui aussi exprimé à ce sujet « Ce retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris est une action indéfendable. Ce retrait nuit à la position de l’Amérique dans le monde et menace de nuire à la capacité de l’humanité à résoudre la crise climatique à temps. Mais ne vous méprenez pas : si le Président Trump se fourvoie, le peuple américain, les dirigeants civils, les maires, les gouverneurs, les PDG, les investisseurs et la majorité des milieux d’affaires vont relever ce défi ».
De ces différentes déclarations venant du monde entier, il en ressort quelques lignes directrices claires :
- Premièrement, les différents décideurs tant du monde politique que de la société civile condamnent unanimement la décision de Donald Trump qui se base sur des arguments économiques et écologiques erronés ;
- Deuxièmement, ils appellent les autres pays à rester unis et à ne pas quitter l’Accord de Paris ;
- Troisièmement, malgré la décision du chef de l’exécutif, un effort conjoint au niveau local des politiques et de la société civile peut amener à réduire l’impact de la décision américaine.
L’analyse d’EdEn
Suite à la décision de Donald Trump, nous avons questionné Jean-Pierre Hauet, Vice-président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association. Fort de son expérience au sein de grands groupes comme Alstom et de son expertise technique, il nous a livré son analyse.
Quelles conséquences sur l’application de l’accord ?
Nous ne savons pas aujourd’hui quelle forme précise Donald Trump va donner au retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris. S’il honore la signature des Etats-Unis, ce retrait ne peut être notifié que trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord soit à compter du 4 novembre 2019 et cette dénonciation ne prendra effet qu‘un an plus tard, soit le 4 novembre 2020, date de la prochaine élection américaine….
Par ailleurs, il ne semble pas que Donald Trump ait l’intention de se retirer de la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique de 1992 qui est le fondement de toute l’action internationale.
Dans l’immédiat, le système reste donc en place. Il ne se disloquerait que si d’autres grands pays décidaient de s’en retirer ce qui ne semble pas être le cas. L’accord tient bon !
Cependant la décision de Trump a deux conséquences importantes :
- D’une part, en interne aux Etats-Unis, elle libère le pays de ses engagements volontaires de réduction de ses émissions de 26 à 28 % en 2025 par rapport à 2005. Elle permet donc à l’Administration américaine de se mettre en cohérence pour revoir tout un ensemble de réglementations sur les énergies fossiles ainsi que Trump l’a exigé par son décret du 28 mars dernier. Mais là encore, ce n’est pas si simple, car Trump ne pourra pas faire revenir la Cour Suprême sur sa décision historique de 2007 statuant que les gaz à effet de serre étaient des « airs polluants » au sens du Clean Air Act. Il lui faudrait donc abroger le Clean Air Act, et là ce n’est pas gagné…
- D’autre part, en externe, Donald Trump va très certainement « couper le robinet » aux institutions en charge de faire fonctionner l’accord et, plus grave encore, se retirer du pool de financement des nations les plus avancées au profit des pays en développement, ce qui sera durement ressenti.
La position de Trump ne va donc pas simplifier les choses. Elle nous ramène 12 ans en arrière, en 2005, lorsque que George Bush avait refusé de ratifier l’accord de Kyoto de 1997 que les Etats-Unis avaient cependant paraphé. Cela a compliqué les choses mais n’a pas empêché le mouvement contre le changement climatique et pour des énergies propres de se développer vigoureusement. Il a pris aujourd’hui une ampleur irréversible et les Etats-Unis vont en prendre conscience. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, les Modernes finissent toujours par triompher !
Cette sortie renforce-t-elle le rôle/leadership environnemental de l’Union Européenne et de la Chine ?
Face à la politique de Donald Trump, l’Europe a deux grandes opportunités pour se ressaisir et resserrer ses liens :
- En interne, la défense, puisqu’il apparaît clairement que l’Europe ne peut plus compter sur son allié américain autant que par le passé et qu’elle devra s’organiser par elle-même ;
- En externe, le climat où, sous l’impulsion du Président Macron, l’Europe peut jouer un rôle essentiel pour maintenir l’unité contre le réchauffement climatique. La Russie jouera également un rôle primordial comme ce fut le cas pour l’adoption finale de l’Accord de Kyoto. Le Président Poutine ne s’est pas encore exprimé de façon formelle même s’il donne l’impression de “comprendre” son homologue américain. Un axe climatique Europe-Russie donnerait beaucoup plus de force à la parole de l’Europe pour peser notamment sur les négociations avec la Chine et l’Inde et constituerait également l’amorce d’un rapprochement stratégique.
La Chine et l’Inde jouent évidemment un rôle primordial; chaque pays a ses intérêts propres et je ne pense pas que leur intention aille aujourd’hui dans le sens d’un retrait. Il y aura sans doute un accord de fait avec l’Europe mais rien ne sera gratuit et la Chine négociera pour en tirer quelques avantages, sur le plan du commerce international notamment.
Quelles mesures de rétorsion vis-à-vis des États-Unis les parties à l’accord pourraient-ils adopter ?
Les Etats-Unis sont un pays démocratique souverain. Si le Président Trump se retire de l’accord dans les formes autorisées, il serait inapproprié de parler de mesures de rétorsion. Les Etats-Unis resteront un pays ami, d’autant plus que l’on voit bien que le Président Trump ne fait pas l’unanimité et que, au niveau des Etats, des grandes villes et des grandes entreprises, la résistance s’organise !
Je suis convaincu en fait que les Etats-Unis se tirent une balle dans le pied et, quand ils verront qu’ils s’installent à côté de ce grand mouvement de transition énergétique, quand ils verront que leurs produits ne répondent plus aux normes communément admises, quand ils réaliseront que leur audience dans le monde s’est effritée, alors, comme ils ont toujours su le faire, ils réagiront. Mais nous aurons peut-être perdu quatre ans alors que l’urgence climatique est là.