Le facteur de conversion de l’énergie électrique en énergie primaire est un paramètre important de la politique énergétique. L’Union européenne vient de ramener de 2,5 à 2,1 la valeur par défaut que les États doivent utiliser. Quelles conclusions en tirer dans le cas français ?
QU’EST-CE QUE LE COEFFICIENT DE CONVERSION EN ÉNERGIE PRIMAIRE ?
Pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers avec les arcanes de la comptabilité de l’énergie, rappelons que le facteur de conversion en énergie primaire du kWh électrique (le Primary Energy Factor ou PEF) est le coefficient qui permet d’agréger, dans des bilans énergétiques, l’énergie électrique avec les énergies primaires fossiles.
Ce coefficient a été fixé en France en 1972 à 2,58, en tenant compte du rendement moyen des centrales thermiques de l’époque qui était de 38,7 % (1/2,58). La règle, confirmée en 1983 et appliquée en France pendant 30 ans, s’écrivait ainsi : 1 MWhe = 0,222 tep1[1] (tep : tonne d’équivalent-pétrole). Elle s’appliquait à toute l’électricité produite, quelle qu’en soit l’origine.
Le développement du nucléaire, l’arrivée des énergies renouvelables et la recherche d’une harmonisation des conventions au niveau international ont conduit en 2002 à réexaminer les règles statistiques et à distinguer deux principaux cas de figure[2] :
- la production d’électricité d’origine nucléaire, que l’on a décidé de comptabiliser en énergie primaire selon la méthode des rendements à la production, avec un coefficient de conversion de 3,0 (1 kWh électrique produit = 3 kWh d’énergie primaire) ;
- la production d’électricité d’origine renouvelable (hydraulique, solaire, éolien…), comptabilisée à la production selon la méthode du contenu énergétique à la consommation, avec un facteur de conversion de 1,0 (1 kWh électrique produit = 1 kWh d’énergie primaire).
Il s’agit là de pures conventions statistiques qui n’ont pas été adoptées par tous les pays (par les États-Unis en particulier). On notera qu’elles ont pour effet de majorer le poids du nucléaire dans les bilans énergétiques et de minorer celui des énergies renouvelables. Il s’ensuit quelques conséquences assez étonnantes :
- si l’on remplace le nucléaire par des énergies renouvelables, on diminue le taux d’indépendance énergétique national, calculé conventionnellement à partir de l’énergie primaire ;
- simultanément, on fait en apparence des « économies d’énergie », puisque les EnR pèsent moins lourd dans le bilan énergétique, mais c’est un pur artefact statistique.
Lire aussi : Quelle place pour le nucléaire dans le mix énergétique français ?
LE COEFFICIENT 2,58 A ÉTÉ UTILISÉ DE FAÇON ABUSIVE
Ces errements seraient restés sans importance si le coefficient de 2,58 de 1972, au lieu de rester un simple indicateur statistique de répartition des approvisionnements, n’avait au fil des années été introduit dans
toutes les réglementations relatives à l’utilisation de l’énergie et en particulier dans le bâtiment, sans que l’on songe à en reconsidérer les fondements.
Ceci a eu pour effet de pénaliser très lourdement l’usage de l’électricité au profit du gaz, alors que l’électricité est en France quasiment décarbonée et constitue le moyen le plus efficace de promouvoir les EnR (éolien et photovoltaïque notamment)
LA NOUVELLE DIRECTIVE EUROPÉENNE AMÈNE À RECONSIDÉRER LE COEFFICIENT 2,58
La directive communautaire en cours de publication, modifiant la directive 2012/27 sur l’efficacité énergétique, va amener les États, la France en particulier, à reconsidérer la situation, dans une optique d’harmonisation européenne notamment. Cette directive impose aux États d’appliquer une méthode de détermination du PEF justifiée, précise, vérifiable et non discriminatoire. Ils peuvent cependant utiliser par défaut le coefficient de 2,1 qui vient remplacer le coefficient de 2,5 jusqu’alors préconisé.
Pour notre pays, qui est en pleine transition en direction de la décarbonation de son économie et de l’usage massif des EnR, le choix du PEF est une décision de politique énergétique essentielle. Elle doit être en harmonie avec l’objectif visé et donc accompagner les mutations et ne pas conforter des situations que l’on veut faire évoluer.
Si l’on considère le mix électrique prévu à horizon de 15 ans, qui contiendra 50 % de nucléaire, 40 % d’EnR et 10 % au plus d’énergies fossiles, il y a deux façons de raisonner :
- soit on considère que le socle nucléaire de 63,4 GW est figé pour une longue période ; alors le développement de l’électricité se fait pour l’essentiel en énergies renouvelables, avec un appoint très marginal de gaz qui pourra le cas échéant devenir renouvelable ; le PEF doit alors être fixé aux environs de 1,0 ;
- soit on estime que l’équilibre 50-40-10 est appelé à être reconduit au-delà de l’horizon 2030/2035 et dans ce cas, on doit raisonner en développement sur la base de ce mix et le calcul montre que le PEF à adopter est très proche de 2,1.
Le coefficient de 1,0 est celui vers lequel il faut tendre dans toutes les réglementations relatives à l’efficacité énergétique pour cesser d’encourager l’usage des énergies fossiles et de faire apparaître des économies d’énergie qui n’en sont pas. C’est le seul qui puisse assurer la cohérence des bilans énergétiques et traduire correctement la volonté de développer les EnR et les vecteurs décarbonés, l’électricité comme l’hydrogène.
Il existe cependant un arsenal réglementaire important fondé sur le coefficient 2,58. Afin d’éviter des solutions de continuité trop abruptes, il est possible d’adopter une double approche :
- d’une part dans toutes les réglementations existantes, substituer immédiatement, par décret, le coefficient 2,1 au coefficient 2,58, notamment dans la RT2012 ;
- dans les réglementations nouvelles, raisonner en énergie finale, c’est-à-dire en énergie livrée au consommateur, indicateur représentatif de l’efficacité énergétique et de la facture supportée par l’usager. C’est l’orientation que le Parlement français a prise en votant l’article 55 de la loi ELAN relatif à la rénovation thermique des bâtiments à usage tertiaire dont les économies d’énergie à réaliser devront être évaluées en énergie finale. Cette décision est en ligne avec la priorité fixée par la loi relative à la transition énergétique et permet de renvoyer l’énergie primaire à ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un indicateur statistique, que le contexte de la transition énergétique et de migration vers les EnR impose de mettre progressivement en extinction.
[1] Hors coefficient de conversion, l’équivalence physique est 1 MWhe = 0,086 tep (0,222 = 2,58×0,086).
[2] En fait, il y en a trois car l’électricité d’origine géothermique est prise avec un rendement de 10 % !