Le jeudi 15 février le Président Brice Lalonde recevait Jean-Marc Jancovici. Ce premier Atelier-Débat de l’année a été l’occasion pour le Président de The Shift Project de développer le concept « d’économie soutenable » et d’évoquer les différentes solutions qu’il préconise afin d’accélérer la transition énergétique.
Dans son propos introductif, Jean-Marc Jancovici a rappelé une réalité essentielle à prendre en compte dans toutes les politiques climatiques « pour avoir deux chances sur trois de rester sous la limite de 2 °C de réchauffement climatique, nous pouvons encore émettre tout au plus 1.000 Gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère. Ce qui correspond à la moitié de ce qui a été émis jusqu’ici, pendant les 200 ans de l’ère industrielle ». Pour le Président de The Shift Project ce chiffre – 1.000 Gigatonnes de CO2 – peut paraître élevé à première vue, alors qu’au contraire, il est assez faible et ne laisse qu’une petite marge de manœuvre. En effet, à cause de l’explosion démographique commencée il y a plusieurs décennies et qui est encore appelée à se poursuivre, le budget carbone par personne sera seulement « d’1/6 de ce qu’il était pour les générations précédentes ». C’est pourquoi cette situation nécessite de faire des choix forts parmi lesquels la première des priorités est la sortie du charbon d’ici 35 ans, puis ensuite de sortir des autres énergies fossiles – pétrole, gaz.
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« Ni la croissance, ni les paris technologiques insensés ne sont nécessaires pour résoudre le problème »
Afin de réduire drastiquement les émissions de CO2, Jean-Marc Jancovici appelle à favoriser les investissements qui ont le coût de la tonne CO2 le plus faible, c’est ce qu’il appelle les « propositions du pauvre ». The Shift Project a développé ce parti pris dans le manifeste pour décarboner l’Europe avec 9 propositions phares, estimées à 1 000 € par habitant/an. Elles ont pour point commun d’être en adéquation avec une croissance faible et de ne pas se baser sur des « paris technologiques insensés ».
Au niveau de la production d’énergie, Jean-Marc Jancovici défend l’énergie nucléaire car celle-ci permet de produire en masse de l’énergie décarbonée contrairement à ce que croient 56 % des Français, qui pensent que l’on réduit les émissions de CO2 en diminuant la part de l’atome dans le mix énergétique. A contrario, le Président de The Shift Project ne croit pas à la viabilité du gaz vert et à sa capacité à s’imposer comme une alternative aux énergies fossiles. De plus, il se montre très sceptique concernant le photovoltaïque ou l’éolien du fait de rendements trop faibles.
Pour ce qui concerne le Bâtiment, notre invité estime que les pouvoirs publics continuent de faire fausse route avec la RT 2020. Son principal grief contre cette dernière est, qu’à l’instar de la RT 2012, le coût de la tonne de CO2 évitée est de l’ordre de 10 000 €, soit une somme bien trop élevée pour que la décarbonation se massifie dans le Bâtiment. Le Président de The Shift Project s’est aussi montré très critique envers le DPE – Diagnostic de Performance Energétique –. Il faudrait substituer au DPE un passeport énergétique qui recenserait les différents éléments à remplacer dans l’habitat pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Enfin, sur la question de la Mobilité, Jean-Marc Jancovici pense qu’il faut s’appuyer sur des voitures peu consommatrices – moins de 2L/100km. Par ailleurs, il plaide pour la fin de l’avion dans les voyages intra-européens que le développement du ferroviaire compenserait.
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De l’acceptabilité sociale de la transition énergétique
Tout au long de l’Atelier-Débat, la question de l’acceptabilité sociale de la transition énergétique par le citoyen a été évoquée. Pour notre invité, de nombreuses mesures salutaires se retrouvent bloquées car elles seraient considérées comme trop radicales voire liberticides. Ainsi, on peut se demander quel homme politique pourrait être élu sur un programme tel que prôné par Jean-Marc Jancovici où les villes de plus d’un million d’habitants seraient proscrites, où l’étalement urbain serait empêché par les pouvoirs publics, où l’avion ne pourrait pas être utilisé pour rejoindre deux capitales européennes. Pour le Président de The Shift Project, la question de la compatibilité entre la transition énergétique et la démocratie se pose.
Les mots du Président Brice Lalonde
Au moment de clôturer l’Atelier-Débat, Brice Lalonde a rejoint Jean-Marc Jancovici sur l’importance de la transition énergétique qui est sans conteste la « question politique numéro 1 de notre temps ». Par la suite, l’ancien Ministre de l’Environnement a rebondi sur la question de l’acceptabilité sociale et économique qui est le sujet épineux de la transition énergétique. Comment faire accepter dans une démocratie une politique alors qu’il existe quantité de plans, de projections et de comités qui ont bien souvent des avis contradictoires. Pour Brice Lalonde, tout le travail de l’association sera d’avoir les idées claires pour proposer aux décideurs français et européens des mesures pour accélérer la décarbonation de l’économie.
Ce qu’en pense EdEn ?
Notre association partage nombre des constats énoncés par Jean-Marc Jancovici durant cet Atelier-Débat, notamment sur l’importance de s’assurer de la rationalité des propositions des acteurs de la transition énergétique et des décisions du Gouvernement. Toutefois nous ne partageons pas l’appréciation très pessimiste de notre invité sur la situation du monde et les chances de voir une nouvelle génération politique y porter remède, nous voulons tabler sur l’intelligence et la volonté de nos concitoyens ! Peut-être avons-nous aussi quelques divergences sur les choix techniques. Eden estime que toutes les solutions intelligentes ont leur place dès lors qu’elles sont alimentées par une énergie propre et bien gérée. Cela passe en partie par le développement d’énergies renouvelables afin de remplacer les énergies fortement carbonées – fioul, charbon, gaz. Par ailleurs, nous pensons que la transition énergétique dans la mobilité utilisera plutôt les véhicules électriques et leurs batteries. Malgré ces nuances, tout en remerciant Jean-Marc Jancovici pour son intervention, Brice Lalonde a appelé à une plus ample collaboration entre notre association et The Shift Project car de la comparaison entre nos différentes analyses et propositions peuvent sortir des idées et des pistes de travail particulièrement intéressantes pour le climat.
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