Quel premier bilan tirez-vous de la reprise de l’activité après plus de deux mois de confinement ?
Le choc a été brutal, frappant tous les secteurs et tout particulièrement ceux en lien avec le public. Il est encore difficile d’en mesurer l’impact à long terme. C’est un type de crise que nous n’avons jamais connu, tout simplement car ce n’est pas une crise traditionnelle du capitalisme. Une crise du capitalisme, depuis les tulipes d’Amsterdam, c’est toujours une crise de spéculation.
Aujourd’hui, on constate quand même que les entreprises françaises sont dans un meilleur état qu’en avril. Selon l’Insee, en août, l’économie française a tourné à environ 95 % de son niveau d’avant crise, mais avec d’énormes différences entre secteurs et même à l’intérieur des secteurs ; certains comme l’hôtellerie-restauration, la culture ou l’événementiel sont impactés durablement.
Donc une très grande partie du chemin a été parcourue, mais l’économie française devrait désormais être atteinte par le syndrome du « dernier kilomètre », plus lent, et marqué par la divergence entre les secteurs revenus à des niveaux d’activité quasi normaux et ceux toujours à la traîne. Donc il faut être très prudent dans les prévisions.
Mais on n’est pas entrepreneur si on n’est pas optimiste !
Quel est votre regard sur le plan de relance économique des pouvoirs publics ? Pensez-vous qu’ils sont fondés à assortir leur soutien de mesures de « verdissement », certes louables mais qui peuvent rendre plus difficile la reprise ?
Au regard de l’ampleur de la crise inédite du COVID qui a soudainement arrêté l’économie dans le monde entier, on ne peut que saluer les choix du plan de relance, notamment celui de privilégier la transformation de l’économie et les secteurs d’avenir. Le Medef s’inscrit complètement dans l’objectif d’une économie décarbonée et souveraine.
La baisse des impôts de production, que nous réclamons depuis 2014, va encourager le « produire en France ». C’est un premier pas qui va permettre de remonter les marges et donc à terme de (re)créer des emplois notamment industriels. Les trois milliards destinés à renforcer les fonds propres des entreprises et notamment des PME sont également indispensables pour investir dans l’avenir. Alors que nous allons vivre une relance progressive et hétérogène d’un secteur à un autre, d’un territoire à un autre, il est capital que, dans le déploiement des mesures du plan de relance, le gouvernement soit réactif pour irriguer notre économie au plus près des entreprises et des territoires.
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Concernant le verdissement, le Medef a déjà engagé cette réflexion pour que la reprise économique se fasse sur des trajectoires durables et résilientes. Il conviendra de trouver un juste équilibre entre les impératifs de compétitivité, de préservation des emplois et des compétences et de réponse au défi climatique. En tout état de cause, le cadre législatif et réglementaire dans lequel les entreprises françaises évoluent en matière écologique est tel que leurs nouveaux investissements s’inscrivent nécessairement dans une trajectoire vertueuse. Le tout est de trouver la bonne temporalité pour embarquer l’ensemble des secteurs et de ne pas perdre des savoir-faire et des compétences dans cette phase de transition.
La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a fait des propositions. Que pensez-vous de cette initiative et que retenez-vous de certaines des recommandations ?
Le Medef est un interlocuteur ouvert au dialogue qui défend une écologie à la fois réaliste et responsable. Nous avons eu l’occasion d’échanger avec les membres de la Convention citoyenne pour le climat et avons commencé à aborder les propositions de manière plus pragmatique et opérationnelle après les annonces et arbitrages déjà rendus. Notre objectif est de nous assurer de la faisabilité des propositions et d’étudier les conditions pratiques de mise en oeuvre après avoir mené des études d’impact, comme s’y est engagé le gouvernement, au-delà des déclarations d’intention et des effets d’annonce.
Sur le fond, le Medef rejoint certaines des recommandations portées par la Convention citoyenne pour le climat ; par exemple la taxe carbone aux frontières de l’Europe ou toutes les mesures relatives aux enjeux d’éducation des nouvelles générations ou de sensibilisation des consommateurs sur l’empreinte environnementale des produits et des services (ex : score carbone) sont des mesures que le Medef portait déjà.
D’autres propositions ignorent la dimension européenne et internationale des échanges. Nous ne pouvons agir comme si nous étions seuls au monde. Non seulement certaines mesures dépendent de la réglementation européenne ou des aides financières que l’Europe fournit aux États membres, mais d’autres risquent d’engendrer des cas de concurrence déloyale. Si la France réduit sa consommation, interdit la publicité ou la vente de certains produits, et que nos voisins ne le font pas, nous courons indiscutablement un risque de décrochage.
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La CCC ne parle pas dans ses propositions du nucléaire, pas plus que de la pénétration accrue de l’électricité ? Comment analysez- vous cette omission ?
Les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont sans doute implicitement reconnu que la priorité en matière de climat n’était pas à chercher du côté de l’électricité puisque grâce à nos filières d’excellence, le mix électrique de la France est déjà exemplaire en matière d’émissions de CO2, mais en priorité dans les secteurs du bâtiment et des transports et plus globalement tout ce qui touche à l’empreinte carbone et à la consommation des ménages.
La taxe carbone est également la grande oubliée de la CCC alors qu’elle a été installée suite au mouvement des gilets jaunes. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Ce paradoxe tient sans doute à la situation particulière de la France en matière fiscale. La situation récente met en lumière trois éléments : un défi d’acceptabilité sociale face au poids des prélèvements obligatoires dans notre pays qui détient le record au sein de l’OCDE avec 46,1 % du PIB, une réaction à des mesures présentées comme ayant une finalité climatique mais perçues comme étant de pur rendement budgétaire, et la perception d’une transition trop rapide sans prise en compte de la capacité des acteurs à s’adapter.
Pour répondre aux objectifs écologiques, la fiscalité est un levier parmi beaucoup d’autres dont la pertinence dépend des circonstances et objectifs. De nombreux outils peuvent faire évoluer le comportement des acteurs publics et privés : développements technologiques, engagements volontaires, fiscalité incitative, mécanismes de marché ou mécanismes de correction des distorsions de concurrence. La fiscalité peut être adaptée à certaines situations, mais moins dans d’autres. Il n’y a pas de réponse unique.
Êtes-vous favorable au développement de la mobilité électrique ?
La question du choix des énergies pour la mobilité doit être abordée à travers ses différents aspects : infrastructures de mobilité, diversité des véhicules et de leurs durées de vie, énergie utilisable, réseau de distribution de l’énergie, déterminants de la mobilité demandée par la structure économique et sociale. Elle doit également s’appuyer sur la diversité des usages (voyageurs et marchandises), segments de distances et composantes modales (modes routier, ferroviaire, aérien, maritime, fluvial). De plus, le paysage technologique est en pleine évolution. Le législateur a fixé la fin de la vente des véhicules thermiques à l’horizon 2040. Il est évident que le véhicule électrique a un rôle essentiel à jouer pour atteindre cet objectif. C’est pourquoi il est important que les investissements dans les nouvelles infrastructures (recharge) soient définis en concertation avec l’ensemble des acteurs économiques concernés, que ce soient les acteurs du BTP, de l’énergie ou encore de la grande distribution par exemple.
Quelles sont les actions à engager pour relancer le secteur du bâtiment, secteur clef de l’économie ? Que pensez-vous de l’idée de rendre obligatoires des rénovations globales, nécessairement très coûteuses ?
Dans ce domaine, le Medef privilégie une approche incitative plutôt que punitive. C’est la raison pour laquelle nous saluons les annonces de renforcement de MaPrimeRénov’. Plus généralement, s’agissant de la rénovation énergétique, le vrai sujet est un enjeu de formation. Les professionnels du secteur, s’ils saluent les mesures et annonces déjà faites, tirent néanmoins le signal d’alarme : pour être au rendez- vous, il faut plus que doubler les efforts de formation : passer de 17 000 à environ 37 000 jeunes formés.
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Le Medef entend faire de l’Europe le leader de la décarbonation, et à ce titre plaide pour l’instauration d’une taxe carbone aux frontières. Comment voyez-vous l’instauration d’une telle taxe en Europe ? À qui devrait aller son produit ?
La taxe carbone aux frontières, que nous soutenons, c’est l’idée qu’on égalise le contenu carbone entre des produits fabriqués en Europe et à l’extérieur de l’Europe. Si le contenu carbone est plus élevé à l’extérieur, cela est compensé dans le prix pour mettre les produits à égalité. En effet, les industriels français sont prêts à s’engager dans une démarche de réduction forte de leur empreinte carbone mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment de leur compétitivité. Car, en général, cela coûte plus cher. Il faut donc être en mesure de compenser ou de récompenser.
Ce dispositif devra prendre en compte plusieurs conditions. Les liens avec le système de quotas EU-ETS devront être maintenus, en particulier le maintien du régime de quotas gratuits et de compensation des coûts indirects tant que l’efficience du nouveau dispositif n’est pas prouvée. Sur le plan économique, la complexité des chaines de valeur incluant importations et exportations devra être prise en compte via des études d’impact détaillées, et des compensations appropriées développées pour les secteurs industriels importateurs (ciment, acier, aluminium), et pour les secteurs clients en aval soumis à une concurrence extra-européenne (aéronautique, chimie, automobile, pharmacie, agriculture…). De même, il est nécessaire d’assurer la compétitivité des exportations européennes vers les pays tiers et de lutter contre les mesures de rétorsions ou les contournements. Les recettes de ce mécanisme devront permettre de financer la transition pour les acteurs économiques exposés (entreprises et ménages), la compensation des surcoûts et l’innovation.
La relance passe aussi par la coordination avec ses voisins. Comment le Medef s’accorde avec le patronat européen pour initier une reprise de l’activité à l’échelle du continent ?
Face à cette crise, l’Europe a été à la hauteur de la situation. Le plan de relance signé le 21 juillet dernier par les Vingt-Sept a été un signal très fort. Un signal fort à l’échelle de l’Europe bien évidemment, mais aussi un signal fort concernant l’axe franco-allemand. Le Medef y a également joué un rôle important en signant dès le mois de juin, avec les patronats italien et allemand, un appel à une mutualisation au niveau européen. En effet, aucun pays européen ne pouvant être prospère dans une Europe qui ne l’est pas, c’est bien grâce à un effort collectif, concerté au niveau européen et solidaire entre les pays, que la relance générale de notre continent pourra s’opérer. La réponse européenne sera déterminante pour rebâtir des industries fortes et résilientes et gagner en autonomie face aux autres grandes régions économiques du monde.