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Le transport maritime durable : quelle stratégie zéro-émission pour les armateurs ?

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A près les oxydes de soufre (SOx) et les oxydes d’azote (NOx), l’Organisation maritime internationale (OMI) a décidé de s’attaquer au défi de la décarbonation, un défi de taille avec des objectifs ambitieux mais néanmoins incontournables au regard des impératifs de la lutte contre le changement climatique. Mais quelle stratégie adopter pour les armateurs afin d’atteindre cet objectif et la neutralité carbone ?

Le 13 avril 2018, l’OMI a conclu un accord visant à réduire d’au moins 50 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre du transport maritime d’ici à 2050 et à améliorer la performance de l’intensité carbone de 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2008. Cet accord historique est le premier engagement du monde maritime visant à réduire concrètement les émissions de CO2. Cette trajectoire peut être atteinte en trois étapes successives.

1re étape : 2010-2025, la prise de conscience

Cette première phase a débuté depuis longtemps. En effet, les armateurs n’ont pas attendu la réglementation pour mettre en place des politiques d’économies d’énergie rimant souvent avec économie de CO2. Ces entreprises ont aussi bien compris la portée sur l’opinion publique d’une véritable politique de développement durable.

Le transport maritime entre dans une nouvelle ère avec l’instauration de nouvelles mesures visant à réduire les émissions de carbone (entrée en vigueur en 2023 des normes IMO EEXI et CII). Les armateurs se tournent vers des solutions permettant de diminuer l’empreinte carbone telle que l’utilisation du GNL comme combustible principal. Le GNL permet en effet de répondre aux exigences sur les émissions d’oxydes de soufre et d’azote (Marpol), mais il permet en plus une réduction de 20 % des émissions de CO2.

Pour des raisons économiques de nombreux armateurs ont depuis des années anticipé la réglementation en réalisant des optimisations majeures sur leur flottes (slow steaming, optimisation des bulbes d’étrave, hélices de propulsion…) qui permettent une réduction significative des émissions de carbone. De nombreux systèmes auxiliaires énergivores ont également été modernisés (systèmes de refroidissement à l’eau de mer, ventilation de la salle des machines, chillers, stabilisateurs…).

Le raccordement électrique à quai des navires est aussi une solution concrète permettant de limiter l’empreinte carbone. Cette dernière est aujourd’hui en plein essor en France et de nombreux ports ont prévu de s’équiper dans les deux prochaines années (Marseille, Toulon, Le Havre, Calais…). La réglementation européenne va bientôt contraindre les ports et les armateurs à s’équiper avant 2030 et la région Sud a déjà imposé cette règle à compter de 2023 pour les ferries et 2025 pour la croisière. Les armateurs sont de ce fait incités à équiper leur navire afin qu’ils puissent se brancher sur le réseau électrique à terre. C’est ce que la compagnie Corsica Linea a réalisé dernièrement sur trois navires et, à terme, l’ensemble de la flotte sera shore connection ready.

Dès 2010, l’avènement du digital à bord a également joué un rôle dans la réduction des émissions de CO2, avec l’implémentation de systèmes d’aide à la décision à base d’intelligence artificielle, tels que l’Octopus d’ABB, qui permettent d’optimiser l’assiette du navire, la centrale de production d’énergie ou bien la vitesse du navire et peuvent engendrer jusqu’à 10 % d’économies d’énergie.

2e étape : 2025-2040, la réduction massive des émissions de CO2

Après avoir optimisé la carène, les moteurs de propulsion ou la centrale de production grâce aux évolutions des normes d’écoconception des navires (EEDI IMO), les gisements d’économie d’énergie et de réduction des émissions se trouvent principalement au niveau de la propulsion des navires qui est le premier poste de consommation. La deuxième phase sera marquée par l’arrivée de nouveaux carburants alternatifs (hydrogène, ammoniac, biométhane) et la démocratisation des batteries de nouvelle génération à bord. La filière hydrogène sera plus mature et permettra à de nombreuses compagnies de commencer à convertir leurs navires à l’électrique à l’aide des piles à combustible.

Le digital continuera de jouer un rôle fondamental dans la réduction des émissions de CO2. La majorité des nouveaux navires seront connectés et équipés de systèmes d’aide à la décision et à la navigation, tels que le Pilot Vision d’ABB. Ces systèmes, semblables à un autopilote, vont réduire le risque d’accident et améliorer l’efficacité énergétique du navire lors des phases de manoeuvre et de navigation.

Après le branchement à quai, la réglementation poussera les armateurs à équiper leurs navires de systèmes de stockage d’énergie permettant de réaliser l’ensemble des manoeuvres d’accostage en mode zéro-émission. Des armateurs précurseurs sont à cette étape aujourd’hui, tels que P&O dans le détroit de la mer du Nord. La compagnie de navigation de croisière de luxe Ponant, basée Marseille, a déjà pourvu son navire amiral, le Commandant Charcot, d’un système de stockage qui permet de naviguer en mode zéro- émission dans des zones dites sensibles. Ce dispositif a notamment été utilisé lors de la dernière excursion au pôle Nord qui a été très médiatisée. Les systèmes de stockage d’énergie seront rechargés durant la navigation ou à quai et permettront de lisser les pics de consommation à bord ou de naviguer en zéro-émission.

3e étape : 2040-2050, la neutralité carbone et le zéro-émission

Le transport responsable sera de rigueur chez l’ensemble des compagnies de transport de marchandises, dicté par des consommateurs exigeants et soucieux de connaître et de minimiser leur empreinte carbone. C’est toute la chaîne de transport logistique qui en sera bénéficiaire.

Le navire de demain sera électrique, connecté, digitalisé et donc autonome ou semi-autonome afin de lui permettre de réduire sensiblement les rejets de polluants, avec un niveau de sécurité inégalé jusqu’alors.

La centrale de production d’électricité à bord sera hybride, cette énergie mixte sera produite par des groupes alimentés par des carburants alternatifs, des piles à combustible ou par des systèmes de stockage d’énergie (batteries).

Le transport courte distance sera lui 100 % électrique, autonome et alimenté par une source d’énergie bas carbone, à l’image d’opérations pionnières comme le projet Flagships de porte-container fluvial propulsé grâce à une pile à combustible ou le projet de transbordeur 100 % électrique de la compagnie Forsea Ferries dans le détroit le plus fréquenté d’Europe.

Le transport de passagers au long cours sera vert, à l’image du ferry 100 % hydrogène sur lequel travaille la compagnie DFDS. En 2040, les attentes des consommateurs auront évolué et la taille des navires de croisière aura tendance à se réduire pour revenir à des croisières à taille plus humaine, plus responsable et plus soucieuse de leur empreinte carbone.

Conclusion

Nous évoluons vers des comportements de plus en plus vertueux et exigeants quant à notre empreinte carbone et environnementale et cela fait entrer le transport maritime dans une nouvelle ère.

La neutralité carbone est un objectif affiché par de nombreux armateurs, certains y voient une opportunité quand d’autres y voient une contrainte réglementaire. Néanmoins, la neutralité carbone ou le transport zéro-émission ne doit pas être un objectif en soi mais un engagement inscrit et mis en oeuvre dans l’ensemble des politiques RSE des compagnies de transport maritime.

Le transport maritime zéro-émission n’est pas une utopie, le chemin sera long et difficile, jalonné de nombreuses étapes réglementaires et incitatives (systèmes d’échange de quotas d’émissions, primes, subventions) fixées par l’Organisation maritime internationale, par l’Europe et par les États. Néanmoins, les briques technologiques, dont certaines ont été citées plus haut, existent déjà et de nouvelles verront bientôt le jour. Elles viendront terminer de rendre possible un transport maritime responsable, durable et neutre en émissions de CO2.

Mohamed Ait-Moulay
Mohamed Ait-Moulay
responsable de la division Marine & Ports, ABB France
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